L’Angola acquiert son indépendance le 11 novembre 1975 à la suite de quatorze années de guerre avec le Portugal. Les mémoires de cette guerre sont minimes dans le pays occidental : les Portugais évitent encore aujourd’hui d’évoquer de sa violence et mortalité.
La présence coloniale portugaise en Angola remonte au XVIe siècle. À partir des années 1950, l’immigration portugaise s’intensifie, en partie à cause du taux de chômage élevé au Portugal. Entre 1950 et 1960, environ 100 000 Portugais arrivent en Angola : il s’agit d’une augmentation de 118 % par rapport à la quantité de personnes blanches déjà installées. Une présence qui a provoqué un début de soulèvements, notamment avec le système de classification ségrégationniste mis en place par les Portugais.
En effet, une citoyenneté réduite était donnée aux personnes métisses et aux assimilados : des personnes noires qui, selon les Portugais, auraient atteint un niveau de « civilisation » suffisante. Ils représentent 2 % de la population en 1960. Puis, il y a ceux qu’ils appellent les « indigènes » : ils ont alors l’obligation de payer un impôt et sont soumis au travail forcé. À cause de leurs conditions de travail difficiles, ces paysans provoquaient régulièrement des révoltes vers la fin des années 1950. Au début, ces révoltes relevaient du sabotage. Par la suite, ces révoltes commencent par former des petits groupes armés qui veulent répondre par la violence à la violence du régime colonial portugais.
Des soulèvements jusqu’à l’épuisement des colons
En 1961, la population africaine qui vivait autour de la capitale, Luanda, attaque la prison de Sao Paulo, la plus importante de la capitale. La population portugaise se venge alors tout en bénéficiant de la protection de la police : des massacres sont perpétrés aux abords de Luanda. C’est le début de la guerre pour l’indépendance du pays. Même si ce soulèvement angolais n’est pas le plus important du pays, il est celui qui a influencé le développement d’un nationalisme révolutionnaire.
Le nombre de personnes participant à l’insurrection en 1961 se compte par milliers. Mais face à une violente répression de l’armée portugaise bien plus nombreuse et mieux armée, d’importantes immigrations ont lieu en direction du Congo. En quelques mois seulement, 80 000 paysans quittent leur terre natale pour échapper aux massacres. Des militants angolais fuient également, ils sont issus de trois groupes différents : le MPLA (le Mouvement Populaire de Libération de l’Angola), l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola), et le FNLA (Front National de libération de l’Angola).
Au fur et à mesure de la guerre, le Portugal se rend compte que l’Angola n’est plus une entreprise suffisamment profitable : l’exploitation des terres, lorsqu’elles ne sont pas aux mains des rebelles, est difficile à cause de climat de tension entre colonisés et colonisateurs. De plus, même si l’armée portugaise augmente son effectif, celle-ci est également mobilisée au Mozambique qui cherche à s’émanciper en même temps que l’Angola.
Salazar et son successeur Caetano s’étaient efforcés de faire passer l’Angola pour une colonie modèle en dissimulant les révoltes du mieux qu’ils le pouvaient. Mais la pression de l’OTAN et des deux grandes puissances de la guerre froide (la Russie et les États-Unis) est trop importante pour que le Portugal puisse conserver sa colonie. En 1974, la révolution des Œillets renverse le régime de Salazar au Portugal. Cela annonce alors le début de nouvelles relations entre la métropole et les colonies. L’indépendance angolaise est finalement négociée : la date du 11 novembre 1975 est ainsi choisie.
Qu’en est-il des mémoires de cette guerre de décolonisation ?
40 ans après la guerre, en avril 2014, un ouvrage du philosophe Eduardo Lourenço, Du colonialisme comme notre impensé, évoque « le silence et la dissimulation ». La société portugaise reste encore aujourd’hui traversée par l’imaginaire d’un « colonialisme innocent ». Certains historiens et anthropologues parlement même d’une « mémoire faible » au Portugal. Les archives de la période de la dictature n’ont été ouvertes qu’à partir de 1994 : c’est un tournant dans le rapport aux passés violents. Arrive alors la mémoire des retornados. En 1975, à la fin de la guerre, 500 00 Portugais ont été massivement rapatriés de l’Angola vers la métropole : on les appelle les retornados.
La mémoire des retornados est une mémoire collective, une mémoire « d’exil » qui s’est réalisée à travers des récits autobiographiques ou de fictions, évoquant le drame du départ forcé et de la perte de biens acquis parfois sur plusieurs générations d’un territoire, d’un statut social… Ces mémoires sont portées depuis les années 2000 par la génération des enfants des Portugais des colonies. Elles sont nourries par les souvenirs de la génération des parents qui viennent préciser les récits et même se les approprier par des anecdotes personnelles. Ce n’est pas un récit mémoriel qui rappelle un passé violent, mais il y a davantage cette position de « victime » avec le rejet de la société portugaise à leur arrivée, mais également une nostalgie de cette « terre promise ».
Puis, à la fin des années 2000, il y a une deuxième phase de la mémoire des retornados qui dénoncent la violence de la situation coloniale, en particulier la violence quotidienne dans le rapport entre personnes blanches et personnes noires. On remarque alors que, au Portugal, ce « travail de mémoire » des guerres de décolonisation est assez tardif par rapport aux dates des faits. C’est davantage une mémoire sur la dictature de Salazar qu’une mémoire sur la décolonisation. Par ailleurs, le sujet de l’Angola est très peu évoqué dans la presse, et d’autant plus dans la presse portugaise. Après la guerre de décolonisation, l’Angola enchaîne avec une importante guerre civile qui éclate entre 1975 et 2002. Alors, aujourd’hui, en Angola, c’est surtout une mémoire autour de cette guerre civile plutôt que la guerre de décolonisation. Très peu de personnes angolaises ont publié des récits au sujet de cette guerre, ce sont surtout des récits venant de Portugais. Il n’existe pas de musées ou de monuments rappelant la guerre d’indépendance en Angola.