Arrivée sur le sol américain en 2015, Sonia Dridi occupe le rôle de correspondante indépendante aux États-Unis pour plusieurs médias comme France 24, BFM TV ou encore la RTBF. Accréditée de façon permanente depuis plusieurs années au sein du groupe « Foreign Press pool » de la Maison Blanche, elle tente tant bien que mal de faire son métier même si le retour de Donald Trump dans le Bureau ovale ne lui facilite pas la tâche…
Contrepoint : Quel rôle joue la politique au cœur de la culture américaine ?
Sonia Dridi : Je pense qu’elle joue un rôle très important. Déjà, on voit bien que beaucoup de films et séries sont inspirés de la politique américaine comme House of Cards. Je connais son créateur, Beau Willimon, qui a fait de la politique avant. Cela l’a sans doute inspiré. Hollywood n’hésite pas à réagir sur ce qui se passe sous l’administration Donald Trump. Des stars ont fait campagne pour le candidat démocrate, qui était à l’époque Joe Biden. Puis, le pouvoir en place à un impact sur les écoles publiques américaines. Par exemple, aujourd’hui, les conservateurs les plus extrêmes essayent d’interdire certains livres. La politique et la culture américaine sont intimement liés.
Contrepoint : Comment avez-vous réussi à traiter l’actualité durant la campagne présidentielle particulièrement violente entre Harris et Trump ?
S.D : Tout d’abord, j’ai passé pratiquement 5 ans en Égypte à couvrir la révolution égyptienne et ce qui a suivi. C’est mon deuxième poste dans un pays où la politique est empreinte de violence. Mon expérience m’a préparée. J’ai un peu plus couvert le camp Harris car j’étais très présente à la Maison Blanche sous le mandat Biden donc c’était la suite logique. J’ai été aux deux conventions (moment choisi par le parti pour investir officiellement son candidat). La convention républicaine s’est tenue à Milwaukee, peu de temps après la tentative d’assassinat sur Donald Trump lors d’un de ses meetings à Butler. C’était un moment historique, j’ai vu des partisans très motivés à voter. Pendant la campagne, on n’avait pas le choix, on devait suivre le mouvement. Avec beaucoup de journalistes, on s’attendait à une élection éprouvante et violente mais c’est allé au-delà de ce qu’on pouvait imaginer. Il fallait être présent le plus possible sur le terrain. J’ai parlé à des pros Trump et des pros Harris pour essayer de saisir la situation. Maintenant, je peux dire que la violence politique est présente de façon alarmante aux États-Unis.
« C’est révélateur d’un climat »
Contrepoint : Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, est-ce que les médias sont traités différemment par rapport à l’administration Biden ?
S.D : Les médias sont traités différemment depuis le retour de Donald Trump au pouvoir. On l’a vu lors de son premier mandat, il ne cache pas sa haine à l’égard des médias mainstream. Désormais, il y a de plus en plus de journalistes partisans. Dès le premier point presse, la porte-parole a déclaré que les influenceurs et les podcasteurs peuvent candidater pour avoir une accréditation. Dans ces nouveaux journalistes, il y en a beaucoup qui sont proches de l’administration en place. Je le dis parfois, j’ai l’impression d’être dans la salle de presse d’un pays autoritaire. Certains font de la propagande. Il y a des signaux qui alertent. C’est un changement drastique qui est, je pense, dangereux. Sous l’ère Biden, les apparitions du président étaient contrôlées, parfois des journalistes recevaient des appels téléphoniques quand des articles ont fâché et l’accès pouvait être restreint. Mais cela n’a rien à voir avec Trump. Là, on sent qu’il y a une grande méfiance qui s’installe entre les journalistes et l’administration. Elle se dirige essentiellement vers ceux qui représentent le New York Times, le Washington Post ou encore CNN…
Contrepoint : « Et on en parle de l’accent de cette journaliste ? », c’est ce qu’a dit Marjorie Taylor Greene, députée trumpiste à la Chambre, à votre encontre alors que vous posiez une simple question lors d’un point presse. Comment avez-vous vécu ce moment qui a indigné la plupart de vos collègues en France ?
S.D : J’ai trouvé ça surréaliste d’être la cible de cette élue qui est connue aux États-Unis pour faire parler d’elle avec ses propos polémiques. Même pour les Républicains, elle est considérée comme extrémiste. C’est une député complotiste, antisémite… donc je ne l’ai pas pris personnellement. La controverse est montée, surtout en France. Ce qu’elle a dit est dangereux. Elle pourrait essayer de pousser la tendance à exclure les journalistes étrangers de la salle de presse. Dans son tweet, elle s’est adressée plus généralement à ce que l’on appelle « legacy média ». Les médias avec un fonctionnement traditionnel. C’est également ma question qui a posé problème. Si j’en avais posé une autre, Marjorie Taylor Greene n’aurait pas relevé. Cela me rassure dans le fait que j’ai posé une bonne question. Je le savais. (rires) Il y a eu une confusion en France. Ce n’est pas l’administration Trump qui s’en est prise à moi, ce n’est pas la Maison Blanche où je garde un bon accès. C’est vraiment une élue, qui occupe un poste de parlementaire. Dans le monde trumpiste, il y a des personnes qui aimeraient faire de la place aux journalistes qui sont favorables et écarter les autres. C’est révélateur d’un climat.
Contrepoint : La liberté de la presse pourrait-elle être remise en cause ?
S.D : Oui, la liberté est déjà remise en cause aux États-Unis. D’ailleurs, ce pays qui est un modèle de liberté d’expression et de liberté de la presse est tombé à la 55e position au classement de Reporters sans frontières sur 180 pays en 2024. On est à un tournant qui s’annonce extrêmement inquiétant.