Depuis plus d’une semaine, les syndicats d’agriculteurs multiplient les mobilisations partout en France pour exprimer leur colère et faire entendre leurs revendications. Le mouvement social qui a été endeuillé par le décès de l’agricultrice Alexandra Senac et de sa fille Camille, n’entend pas se calmer avant d’obtenir des réponses à ses doléances. Les blocages et opérations escargot se poursuivent donc sur les routes du territoire. Décryptage d’un ras-le-bol général qui dure depuis longtemps.
La juste rémunération
“Pour nous, la vraie crise est autour du prix” confiait à l’AFP Laurence Marandola, porte-parole de la confédération paysanne. Ces revendications ne sont pas nouvelles : on observe depuis longtemps une colère latente au sein du monde agricole. Ces doléances se sont intensifiées avec le contexte d’inflation, qui provoque notamment une hausse des coûts de production.
1. La loi, rien que la loi
Les agriculteurs demandent ainsi l’application des lois Egalim. Ces trois lois, votées entre 2018 et 2023, visent à protéger les exploitants agricoles. Elles leur garantissent une juste rémunération par la sanctuarisation du prix des matières premières. Cependant, les syndicats d’agriculteurs reprochent l’application insuffisante de ces lois, voire leur non-application. “Une juste rémunération est indispensable pour valoriser le travail des agriculteurs”, martèlent la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) et les Jeunes Agriculteurs, dans un communiqué publié mercredi 24 janvier.
Cette colère s’inscrit donc dans un bras de fer de longue date avec les distributeurs et les industriels de l’agroalimentaire, qui s’octroient souvent des marges importantes au détriment des agriculteurs. La colère est particulièrement forte envers les enseignes E. Leclerc, qui sont accusées de privilégier les produits fabriqués ailleurs en Europe pour afficher des prix compétitifs en rayon, plutôt que d’encourager l’agriculture locale. Depuis le début du mouvement, les actions contre ces supermarchés se sont multipliées partout en France.
2. Le prix du gazole
Ces difficultés économiques s’illustrent aussi par la flambée du prix de l’énergie, essentielle au fonctionnement du matériel agricole. À cela s’ajoute le projet annoncé en septembre dernier par Bruno Le Maire de mettre fin à la défiscalisation du gazole non-routier (GNR) dont bénéficiaient les agriculteurs. Si le ministre de l’Économie entendait par cette mesure “basculer à une fiscalité qui valorise les investissements verts”, les agriculteurs voient cela comme un énième moyen de les taxer, sans apporter de solution alternative.
3. Le Pacte Vert Européen
Les exigences environnementales proviennent également de l’Union Européenne, avec le Pacte Vert Européen, qui affiche un objectif de réduction de moitié de l’usage de produits phytosanitaires chimiques d’ici à 2030. Les représentants de syndicats agricoles dénoncent les incohérences des objectifs fixés par l’État et l’Europe concernant la transition écologique. Les céréaliers parlent d’une impasse. En effet, il semble impossible d’être compétitif face à la concurrence des autres pays européens, à cause des contraintes sur les coûts qu’une telle réduction impliquerait.
4. Le poids des normes et la surcharge administrative
Ces mesures européennes viennent alourdir des normes, notamment environnementales, déjà existantes. Cette surcharge de normes qui changent continuellement crée une situation de malaise dans le monde agricole. Les exploitants se désolent de devoir constamment se demander s’ils sont dans les règles. Une réduction des normes est demandée par les syndicats d’agriculteurs ; ils dénoncent une pénibilité morale qui s’ajoute à la pénibilité physique de la profession. En effet, l’enfer administratif semble s’épaissir chaque année entre déclarations, dossiers de demandes de subventions ou d’aides, contrôles ou encore comptabilité.
5. La menace de la concurrence américaine
Enfin, un dernier point de discorde réside en l’absence de garanties suffisantes concernant la concurrence des pays étrangers. Si l’Ukraine venait à entrer dans l’Union Européenne, une menace de concurrence déloyale planerait sur les exploitants français. En effet, les prix ukrainiens sont ultra-compétitifs et leurs céréales sont déjà prisés par certains distributeurs en France. En outre, la Commission Européenne a jeté de l’huile sur le feu en évoquant la reprise d’un projet d’accord de libre échange entre l’Union Européenne et le Mercosur, vieux de plus de vingt ans. Si un tel traité venait à voir le jour, l’importation de bœuf brésilien et argentin serait largement facilitée. Or, il serait difficile pour les éleveurs français de concurrencer leurs prix attractifs, en raison de l’absence de normes strictes sur le bien-être animal dans ces pays sud-américains.