Ce 26 septembre à Dakar, la conférence de presse du nouveau premier ministre sénégalais a un arrière-goût de vengeance. Il s’appelle Ousmane Sonko, principal opposant à Macky Sall, qui régnait sur le Sénégal depuis plus de vingt ans à partir de différents postes d’état. Malgré les obstacles installés par Macky Sall jusqu’à frôler le putsch, Ousmane Sonko est installé dans ses fonctions de Premier ministre depuis le 2 avril 2024. C’est un mouvement extrêmement fervent au sein de la jeunesse sénégalaise qui le porte à la tête de l’état, dans un pays où l’âge médian est de 19 ans.
Après plusieurs arrestations, pour « viol, menaces de mort et corruption de la jeunesse », Ousmane Sonko a été à chaque fois acquitté de ce qu’il décrit comme « des tentatives de liquidation politique ».
Le 3 mars 2021, sa première arrestation provoquait des manifestations qui tournent à la guérilla urbaine à Dakar. Finalement, le 17 mars 2021, Adji Sarr, « victime de viol d’Ousmane Sonko », avouait avoir été l’objet de tentatives de corruption pour accuser l’opposant politique.
Malgré cela, le procès se poursuit jusqu’en 2023, en y ajoutant un présumé vol de portable et de menaces sur un juge : Ousmane Sonko est condamné en première instance à deux ans de prison. Les manifestations tournent aux émeutes malgré l’intervention de l’armée. Au total, parmi les manifestants, de mars 2021 à juin 2023, on compte cinquante morts.
Désormais au pouvoir, c’est au gouvernement d’Ousmane Sonko de diligenter une enquête sur le gouvernement Macky Sall, dans ce qu’il qualifie de cas de « corruption généralisée ». Juan Branco, ancien avocat franco-espagnol de nombreux gilets jaunes et de Julian Assange dans l’affaire WikiLeaks, s’empare également de l’affaire et poursuit Macky Sall en Cour Pénale Internationale pour « crimes contre l’humanité ».
La Françafrique et le panafricanisme face à face
Si les médias français se sont amourachés de la question sociétale sénégalaise lorsque Ousmane Sonko annonçait dans son programme un durcissement de la pénalisation de l’homosexualité (dans un pays où elle est déjà très prononcée), ils oublient de s’intéresser aux dossiers de fond sénégalais, à savoir sa dépendance aux intérêts français en Afrique.
Macky Sall s’était engagé à ne pas briguer de troisième mandat et à respecter la Constitution. Après plusieurs tentatives de museler l’opposition, de repousser les élections, ou de couper l’accès à Internet via tous les réseaux mobiles (mettant 98% de la population dans l’isolement numérique), le Sénégal semblait dériver en junte militaire, à la manière de celles qu’on a vu prendre forme au Mali, au Niger ou au Burkina Faso cet été, soutenues par Wagner et d’autres services officieux de la Russie.
Dans cette guerre pour les intérêts d’état en Afrique, la France a beaucoup à perdre, le Sénégal étant son dernier pied à terre solide sur le continent. Pour le Sénégal, la France représente plus de 80% des investissement étrangers. Macky Sall avait en ce sens signé de nombreux contrats avec des entreprises sous influence de l’état français (exemple : le groupe Vinci via Sénélec, la SNCF, Eiffage).
Au contraire, Ousmane Sonko a toujours alimenté un discours anticolonial et une vision du pays indépendante des intérêts extérieurs à l’Afrique, promouvant le « panafricanisme », à l’image de ses soutiens extérieurs (Juan Branco, ou le militant béninois Kémi Séba). Les manifestations faisant suite à ces arrestations ont d’ailleurs conduit au pillage ciblé de trois groupes français : Auchan, Orange et Total Energies.
Une chose est certaine, 2023 – 2024 demeurera une année noire pour la Françafrique.