Un mois après l’audience, le tribunal correctionnel de Lille a rendu son jugement, le 10 novembre, concernant des faits de violences en réunion de la part de six surveillants pénitentiaires de Lille-Sequedin sur un détenu. Prison avec sursis, interdiction d’exercice et inscription au casier judiciaire, la stupeur est au rendez-vous sur le banc des prévenus. Récit.
14h. Dans la chambre 8 du tribunal correctionnel de Lille, ce 10 novembre, le silence règne. Pourtant, une nouvelle fois, elle fait salle comble. Collègues, épouses, amis et avocats se tiennent étrangement droit. Les regards sont fixés sur la tribune. Dans quelques instants, le destin des six surveillants pénitentiaires de Lille-Sequedin sera scellé.
14h10. « Le président, levez-vous ». Dans un même mouvement robotique, la foule obéit. La scène a des airs de déjà-vu. Un mois après, les mêmes acteurs reprennent le drame. Procureure de la République, assesseurs, président, greffière. Il manque seulement la « victime ». Le 13 octobre dernier, à la fin des 9 heures d’audience, que Contrepoint avait suivies, ce dernier avait demandé à assister au verdict. Le président avait refusé, car « une extraction judiciaire coûte cher et demande une trop grande organisation ». Ces extractions des détenus devant la Justice sont prises en charge par l’administration pénitentiaire depuis 2015. Dans les Hauts-de-France, il existe trois pôles régionaux d’extractions judiciaires (PREJ), à Loos, Longuenesse et Valenciennes, dénombrant chacun une cinquantaine d’agents. Soit un nombre beaucoup trop faible pour organiser tous les transferts des 7.165 personnes écrouées dans la région. Le président avait alors opté pour un recours à la visioconférence, autorisée dans les procédures pénales depuis 2007 par souci de logistique et d’économie…
Triple peine : prisons avec sursis, interdiction d’exercice et inscription sur le casier judiciaire
14h15. Sur scène, on s’agite. La connexion avec le détenu ne fonctionne pas. On tente à quatre reprises de le joindre. En vain. « On va rendre le jugement sans la victime. La visio est impossible. Il faut dire qu’elle se trouve dans une prison reculée », justifie le président. Pourtant, après la révélation des faits de violences à Lille-Sequedin, elle a été transférée à la maison d’arrêt de Maubeuge où les conditions de vie sont les moins dégradées par rapport aux autres établissements des Hauts-de-France, avec notamment le taux d’occupation (112,4%) le plus faible. Toujours est-il que la technologie derrière les barreaux a ses limites. Un avocat de la défense s’impatiente : « La partie civile est absente, mais je lui transmettrai le jugement. » Sur le banc du public aussi, on s’agite. « J’espère qu’ils seront indulgents, hier encore un détenu m’a insulté et craché dessus », s’exclame un des collègues des prévenus.
14h17. Après un ultime appel, on abandonne l’idée de la visioconférence. Seulement quatre prévenus sur six sont présents. Ils s’alignent face au président. Pour rappel, ils sont accusés de « violences en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique ». Le 3 janvier dernier, à la prison de Lille-Sequedin, ils étaient intervenus dans une cellule pour une dispute entre détenus. Un des deux, encore nu et couvert de savon avait été traîné ainsi par ses poignets menottés dans le dos jusqu’au quartier disciplinaire, et roué de coups durant une vingtaine de minutes. Le tribunal correctionnel a tranché : « Coupables ! » annonce le président. Dans l’assemblée, on retient son souffle avant la promulgation des peines. Le « gradé », le chef d’équipe, et celui dont les coups avaient été nombreux, sont condamnés à un an de prison avec sursis et à une interdiction d’exercer dans la pénitentiaire durant deux ans. Les quatre autres écopent de six mois avec sursis et un an d’interdiction d’exercice. Mais pour tous, le tribunal requiert l’inscription de la condamnation au casier judiciaire. « Vous avez dix jours pour faire appel du jugement », rappelle le président.
Amers et bannis de la fonction publique
14h20. La foule se rue vers la sortie. La chambre se désemplit aussi vite qu’elle s’était remplie. Tous se réunissent dans la salle des pas perdus. On se prend dans les bras, et les chuchotements sont teintés d’énervement et d’émotion. Les quatre condamnés sont abasourdis. « Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? Je ne sais rien faire d’autre… », se désole un des gardiens, les yeux brumeux. « La peine principale en elle-même me parait adaptée, je suis un peu déçu pour les peines complémentaires. Le fait de ne pas les dispenser de l’inscription de la condamnation sur le bulletin n°2 du casier judiciaire revient à les empêcher d’exercer dans la fonction publique », explique Me Brochen, avocat d’un des surveillants.
14h30. Tous se mêlent et débattent, doivent-ils faire appel ou s’en sont-ils bien sortis ? Il y a un mois, la procureur de la République avait requis « une peine d’exemple », avec huit mois de prison ferme pour le « gradé », six mois pour les cinq autres. Et pour tous, une interdiction d’exercer dans la fonction publique. Cette dernière réquisition malgré la « rhétorique » du jugement semble avoir été entendue. « Les conséquences professionnelles et donc personnelles vont être énormes. Toutefois, je ne suis pas favorable à faire appel. On se laisse tout de même le temps de la réflexion », conclut Me Brochen. Avenue du peuple belge, au pied du tribunal, le silence revient. On pense à la prison de Lille-Sequedin. À sa vétusté, sa surpopulation, sa pénurie de gardiens. Surtout, à sa violence et au dérapage du 3 janvier. Gardiens, collègues, épouses et amis, dans un même geste, allument une cigarette. Et regarde l’horizon à l’avenir incertain.