« Tout le monde est fatigué de penser à la guerre, et moi aussi. On ne peut pas pleurer éternellement ». Alyona, jeune étudiante russe de 21 ans, ne cache pas sa lassitude de la guerre qui ravage son pays depuis trois ans. Alors qu’elle termine ses études de langues en Allemagne, elle espère secrètement la fin de la guerre pour que l’Ukraine puisse enfin vivre en paix.
« il n’y a jamais eu d’hostilité entre nous, nous étions des nations fraternelles. » Alyona, les cheveux bleus emportés par le vent, regarde avec impuissance la guerre qui sévit en Ukraine. Exilée pour ses études de langues en Allemagne, la lassitude vis-à-vis d’un conflit qui massacre ses compatriotes empiète désormais sur son quotidien. Née à Saint-Pétersbourg, elle a passé une partie de son enfance en Ukraine où vivait sa famille. « Toute notre famille prenait un train de Saint-Pétersbourg à Kherson et passait trois mois d’été là-bas. » Entre ces deux pays, Alyona ne peut pas choisir. Elevée dans une éducation ouverte sur le monde, loin de la doxa conservatrice russe, son attrait pour les langues lui a permis de se construire une identité forte et indépendante. « Je ne peux pas me considérer pleinement comme Russe ou Ukrainienne parce que j’ai été élevée dans un esprit cosmopolite. Je respecte toutes les nationalités et je n’ai pas une mentalité distinctement russe ou ukrainienne. »
La résilience comme dernier espoir
« Je ne ressens plus que du vide. » Pire que la guerre qui tue, il y a la guerre qui dure. Après trois ans de conflits acharnés, Alyona s’est résolue à vivre avec. Ce perpétuel déchirement, elle l’a accepté, comme beaucoup d’autres en Russie. « Dans les premiers mois de la guerre, j’étais profondément affectée par tout ce qui se passait et je suivais chaque événement de près. Mais maintenant, tout le monde est fatigué de penser à la guerre, et moi aussi. On ne peut pas pleurer éternellement. » Suivie par des centaines d’abonnées sur Instagram, cette jeune femme profite de sa liberté pour terminer ses études de langues afin de devenir professeure d’anglais en Russie. D’humeur joviale, elle passe du temps avec son compagnon et ses amies à sortir, rire et pleurer comme n’importe quelle fille de son âge. Mais le poison de la guerre est une toxine lente et douloureuse qui ne cesse de lui empoisonner la vie. Le regard vide, elle se remémore avec tristesse son enfance chamboulée par un conflit qu’elle ne comprend pas. « C’était incroyablement douloureux de voir le centre commercial où j’avais l’habitude de me promener enfant détruit par les bombardements. Cela m’a fait mal d’entendre les histoires de parents qui ont fui de Kherson à Saint-Pétersbourg. »
Une vie tiraillée entre la censure et le pouvoir du Kremlin
Si elle ne vit plus en Russie, sa terre natale lui manque. Privée de sa famille et de ses amis restés au pays, elle n’a d’autre choix de revenir sur la terre de ses ancêtres, la peur à portée de main. Si la guerre existe officiellement depuis 2014 entre Moscou et Kiev, les relations entre les Ukrainiens et les Russes ont toujours été heureuses du temps d’Alyona. Avant l’invasion, l’est de l’Ukraine parlait majoritairement le russe, permettant à ces derniers de se sentir les bienvenus. Aujourd’hui, la situation est beaucoup plus compliquée. Malgré les centaines de milliers d’hommes russes qui sont morts ou blessés depuis que Vladimir Poutine a lancé son « opération spéciale », l’avenir de l’Ukraine est toujours autant incertain. Pourtant, Alyona se veut optimiste sur la suite du conflit. « Je suis convaincue que la guerre ne s’étendra pas au-delà de l’Ukraine. J’espère que cette année, la guerre prendra fin ou sera gelée, comme en 2014. La Russie n’a pas les ressources pour aller au-delà de l’Ukraine sinon, nous ne verrions pas des batailles aussi prolongées pour les plus petites localités. »
En Russie, la censure du Kremlin s’impose dans toutes les localités du pays. Dans les écoles, un agenda anti-occidental s’installe dès l’enfance. Des lieux d’échanges sont proposés aux enfants pour leur enseigner comment aimer « à la russe » et à « se lier d’amitié à la russe ». « Il est aujourd’hui impossible de s’exprimer publiquement contre le président et le gouvernement, et j’ai déjà mentionné les conséquences de telles déclarations. Si vous vivez comme une personne ordinaire sans position civique active, vous pouvez être relativement heureux. » Le patriotisme sert de marchepied à Vladimir Poutine afin de contrôler sa population pour dénigrer les valeurs occidentales jugées décadentes. Son gouvernement impose sa doxa dans la culture où les valeurs traditionnelles russes sont défendues bec et ongles, méprisant les droits des minorités. La propagande se diffuse désormais dans les rues où des drapeaux monarchistes se glissent parfois dans les concerts et les rassemblements publics.
« Pour moi, il est important non seulement d’enseigner les langues, mais aussi d’inculquer des qualités positives aux enfants et de les aider à développer leur capacité à voir le monde sous différents angles. »
Pour Alyona, la vie en Russie n’a pas vraiment changé. Malgré les sanctions européennes qui frappent l’économie russe, la vie reste agréable et festive. « L’accessibilité des transports est assez bonne ici, avec une riche culture et une vie active. De nombreux magasins ferment à 23 heures et certains restent ouverts 24h/24. Presque chaque bâtiment des quartiers modernes possède une pharmacie, une épicerie, une boulangerie, etc. » Le véritable problème reste dans la politique du pays. Défendant des valeurs de liberté et de solidarité, la jeune Russe partage sa passion pour les langues afin de montrer une autre vision du monde. « il est important d’inculquer des qualités positives aux enfants et de les aider à développer leurs capacités à voir le monde sous différents angles. »
Néanmoins, la native de Saint-Petersbourg reste pessimiste à court terme sur un changement politique dans son pays. Dans les années 1990, lors de la chute de l’URSS, la Russie était tourmentée par des problèmes de criminalité endémique où l’économie locale s’est brutalement effondré, plongeant le peuple russe dans la misère.« Les gens ont dû survivre comme ils pouvaient, personne ne veut revoir cette époque. » Bien que le Kremlin impose une domination totale dans la politique du pays, assassinant ses opposants et privant en partie sa population de liberté, Alyona est persuadée que les Russes ne sont pas prêts à revivre une autre guerre civile chez eux. « Il est probable que lorsque Poutine partira, il sera remplacé par quelqu’un ayant des opinions similaires. Il est très difficile de construire une démocratie lorsque les gens ont peur du changement ».
Partageant l’espoir de voir un jour une Russie libérale et démocratique, Alyona milite à sa manière pour que son peuple retrouve le goût de la démocratie afin qu’elle puisse vivre en toute liberté.