Le 1er octobre 2024, la route la plus empruntée d’Europe, avec près d’un million d’automobilistes journaliers, a vu son quotidien changer. Depuis cette date, les automobilistes doivent désormais rouler à 50km/h au lieu de 70 km/h. Le 3 mars prochain, une voie réservée au covoiturage et aux transports en commun entrera en vigueur sur le périphérique parisien et une partie des autoroutes A1 et A13.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Anne Hidalgo, maire de la ville de Paris depuis bientôt 10 ans, sait comment faire parler d’elle : « Je prendrai mes responsabilités ». L’application de la mise en place de la mesure en octobre dernier avait déjà fait réagir les usagers réguliers vivant au-delà des portes parisiennes, ces derniers s’estimant profondément lésés par cette décision. Pour rappel, une étude de l’Institut Paris Région estime que « 80 % des usagers du boulevard périphérique habitent en dehors de Paris ». Le 3 mars prochain, cette décision s’accompagnera de la mise en place d’une voie réservée pour le co-voiturage. Aussi nécessaire qu’impopulaire, ce choix agace profondément les particuliers qui voient leur temps de trajet augmenter (4 min en moyenne), considérant que leurs impératifs professionnels et personnels n’ont pas été pris en compte lors du vote municipal de mai dernier.
Réduire la vitesse du périphérique : un contre sens écologique ?
Pour bien comprendre, un état des lieux est nécessaire. L’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) a dévoilé dans le “livre blanc du périphérique” qu’une grande partie du parc automobile est “composée de voitures à moteur thermique de type familial, telles que des berlines ou SUV, qui sont conçues pour parcourir des grandes distances à grande vitesse”. Avec une réduction de la vitesse à 50 km/h, Fabrice Godefroy estime que cette décision favorise le développement des émissions de gaz à effet de serre. Selon cet expert en mobilité de l’association “40 millions d’automobilistes”, la réduction de la vitesse accentue le régime moteur du véhicule. L’étude du CEREMA abonde en précisant qu’une voiture relâche effectivement plus de CO2 et d’oxydes d’azote à 50 km/h qu’à 70 km/h.
Toutefois, bien que l’idée suivante soit contre-intuitive, réduire la vitesse de circulation semble néanmoins favoriser la circulation. En 2013, la réduction de la vitesse moyenne autour du périphérique (passant de 80 km/h à 70 km/h) a permis une augmentation de plus de 10% de la vitesse moyenne de circulation, passant de 32,6 Km/h à 36,4 km/h. On explique cela notamment en raison de la réduction des à‑coups et du fait que les distances de sécurité entre les véhicules sont réduites à 28 mètres à 50 km/h. Pour Pierre Pernot, ingénieur Airparif, la vitesse n’est pas le seul critère pour réduire les émissions de polluants : « La vitesse n’est pas la question principale en matière de qualité de l’air. Le plus important est le nombre de véhicules qui passent, le type de véhicules qui passent et la fluidité. » Aujourd’hui, on remarque une diminution du nombre d’usagers sur le périphérique parisien, liée par une taxation plus importante des SUV dans la capitale et un déclassement des véhicules classés “Crit Air 3,4,5”.
Une mesure salvatrice pour la sécurité des automobilistes
Il serait injuste de présenter cette mesure comme une catastrophe à tous les niveaux. La mise en place de la réduction de la vitesse sur le périphérique parisien vise avant tout à réduire drastiquement les accidents mortels aux abords de la capitale. Avec la mise en place du périphérique à 70 km/h, le nombre d’accidents avait déjà diminué de 15,5% (627 contre 742) en 2014 par rapport à 2013, selon le bilan de la mairie de Paris et de la préfecture de police. Les premiers retours des automobilistes vont dans ce sens avec une réduction des dommages effectifs. Une nouvelle réjouissante quand on sait que la mortalité routière constitue une des premières causes de mortalité en France avec 3398 morts en 2023 (INSEE). Concernant l’intérêt de mettre en place une mesure favorisant le covoiturage, rappelons simplement que les voitures personnelles sont l’un des principaux pollueurs puisqu’elles représentent pas moins de 60,6 % des émissions totales de CO2 dues au transport routier en Europe.
Si la réduction de la vitesse de circulation et de la mise en place d’une énième mesure favorisant le covoiturage dans le périphérique fait autant réagir, c’est qu’elle montre un éclatement entre deux mondes. Le premier, habitant les beaux quartiers parisiens et prenant les transports en commun la majorité du temps, se félicite de cette décision qui est factuellement écologique puisqu’elle propose des arguments solides pour le progrès technologique, une circulation plus vertueuse, une diminution effective des risques liées à la pollution sonore et une chute de la mortalité sur la route. Le second, le monde des travailleurs, ébranlés par un train de vie souvent éprouvant, subissent les contraintes écologiques de la mondialisation qui les condamne à vivre avec moins que ce qu’ils ont déjà, c’est à dire pas grand chose. Cette décision, d’un bon sens discutable et d’une efficacité relative, vise avant tout à faire mourir l’utilisation de la voiture, devenue le symbole maudit de la pollution urbaine. Cette discorde profonde entre la France périphérique (voir le livre de Christophe Guilluy qui porte le même nom) et la France citadine se cristallise ainsi autour de la mobilité dans les zones urbaines, centre névralgique du pouvoir et des richesses.
Si la voiture diesel semble condamnée à disparaître, reste à savoir si la France d’Hidalgo survivra à l’exil programmé de ses travailleurs.