Les applis comme The Sorority, UMAY, Mon Chaperon ou Street-Alert proposent des dispositifs d’alerte, de géolocalisation et de mise en relation avec des personnes de confiance ou des lieux sûrs. Si elles répondent à une vraie demande de protection, elles soulèvent aussi des questions : sur-responsabilisation des victimes, dérives sécuritaires, dépendance technologique, efficacité réelle, etc.
En France, 81% des femmes ont déjà été victimes de harcèlement sexuel dans des lieux publics. Pour faire face au phénomène, de nombreuses applications de protection naissent. Les maîtres mots de ces dernières : alerter, géolocaliser, protéger. Mais si dans la forme, elles ont un réel impact positif sur les femmes, leurs failles restent bien présentes.
Les femmes, actrices de leur protection
Le sujet du harcèlement de rue est sur toutes les bouches depuis des années. Face à cela, de multiples dispositifs ont été mis en place : noms de code à utiliser dans les bars, campagnes de sensibilisation, applications sur base de sororité… Mais tout cela pose une question : les femmes doivent-elles êtres tenues responsables de leur propre sécurité ? Pourtant, se balader dans la rue, sortir boire un verre ou prendre les transports devraient fondamentalement être sécuritaires pour tous. Ces initiatives, au bon fond, placent la charge de la sécurité sur les personnes ciblées par le harcèlement. Une injonction à « bien se protéger » donc, obligeant les femmes à anticiper, signaler, s’équiper face à un manque de transformation de l’espace public. Nous pouvons également parler de sécurité conditionnée – et non intégrée – lorsqu’une potentielle victime de harcèlement fait de cette application une habitude. Une routine d’ailleurs inutile s’il n’y a plus de réseau ou de batterie. Ces dispositifs ne remplacent ni la présence humaine, ni les politiques publiques de prévention. Le sentiment de sécurité peut alors être trompeur : un bouton d’alerte ne garantit pas une intervention rapide ou efficace, même si cela reste nécessaire dans un pays où les agressions sont monnaie courante.
Des outils utiles mais à double tranchant
Si ces applications répondent à une peur bien réelle, elles soulèvent aussi de nombreuses interrogations. Certaines collectent des données sensibles comme les trajets, les horaires, les lieux fréquentés ou les contacts personnels, posant des questions de vie privée, de traçabilité et de potentielle exploitation commerciale ou judiciaire. Le recours à des tiers pour « surveiller » un trajet ou intervenir en cas de danger peut glisser vers une logique de contrôle social, exposant les utilisateurs à des interactions non souhaitées, voire à des abus de confiance. «
J’ai utilisé The Sorority en rentrant d’une soirée. Une femme m’a appelée et m’a parlé jusqu’à chez moi. C’était rassurant, mais aussi étrange de dépendre d’inconnues », confie Maya, 23 ans. Pour Ambre, 26 ans, l’expérience avec UMAY a été utile, mais révélatrice : «
Je me demande pourquoi c’est à moi de prévoir tout ça, et pas à la société de garantir ma sécurité. » Ces témoignages illustrent les dérives possibles : sur-responsabilisation des victimes, dépendance technologique, effet anxiogène ou encore illusion de sécurité. Certaines militantes dénoncent une « privatisation de la sécurité » et une « délégation de la protection aux victimes elles-mêmes », quand d’autres défendent ces outils comme des compléments utiles à une politique publique plus ambitieuse.
De possibles dérives
Certaines plateformes ouvertes à l’inscription peuvent être détournées par des individus malveillants. Le risque d’usurpation d’identité ou d’inscription d’agresseurs dans le but de repérer des victimes est réel, surtout si les vérifications sont insuffisantes. Ce danger est comparable à celui observé dans certains cas de cyberharcèlement en meute, où des groupes s’organisent pour traquer ou piéger des personnes via des outils numériques. Par exemple, l’application
We Protect permet de « commander » un agent de sécurité par géolocalisation, pour être escorté jusqu’à chez soi. Pour l’instant gratuit, le dispositif fait appel à des professionnels du métier mais cherche à former des personnes de divers milieux. Une initiative qui pourrait potentiellement amener des loups dans la bergerie, soient des éventuels agresseurs accédant plus facilement à leurs victimes. De grandes entreprises comme
Uber ont, quant à elles, crées un service 100% féminins pour pallier les interactions déplaisantes de certains chauffeurs de la plateforme – comme l’atteste cette vidéo filmée par une cliente d’Uber :
Uber Women : Une Nouvelle Tendance en 2025 | TikTok. Quoiqu’il en soit, ces applis répondent à un danger sociétal ancré, mais elles ne doivent pas devenir un substitut aux politiques publiques, à l’éducation ou à la transformation des comportements. Le risque est d’individualiser une problématique collective, en demandant aux victimes de s’adapter plutôt qu’à la société de changer. Et si la vraie révolution passait par l’éducation, la prévention… et une rue enfin pensée pour toutes ? Pour rappel, le harcèlement de rue est passible d’une amende de 90 à 1500 € depuis 2018.