Depuis plus de dix ans, Duolingo séduit des millions d’utilisateurs grâce à son interface ludique et ses leçons courtes. Mais derrière le hibou vert se pose une question : l’application permet-elle vraiment d’apprendre une langue, ou transforme-t-elle surtout l’apprentissage en jeu ? Entre gamification et modèle freemium, elle illustre à quel point apprendre peut se mêler au divertissement.
Depuis quelques années, les applications d’apprentissage des langues explosent. Duolingo, Babbel, Busuu ou encore Memrise comptent des centaines de millions d’utilisateurs à travers le monde. L’idée est simple et séduisante : transformer l’apprentissage en une expérience ludique et accessible, disponible dans la poche à tout moment.
Duolingo, en particulier, a su créer un modèle addictif. L’application américaine, fondée en 2011 par Luis von Ahn, propose des leçons courtes, des niveaux à débloquer et un système de récompenses. Elle a démocratisé l’idée que tout le monde peut apprendre une langue en s’amusant. Après 13 ans d’exploitation, en août 2024, Duolingo atteint 100 millions d’utilisateurs actifs mensuels et compte 8 millions d’abonnés payants. Un succès colossal pour le hibou vert, qui représente à lui seul 90 % des parts de marché des applications d’apprentissage des langues.
Mais derrière cette image cool, inclusive et moderne, la question reste ouverte : apprend-on vraiment ?
Le revers du jeu : motivation artificielle
Le succès de Duolingo repose sur deux moteurs puissants : la gamification et le freemium.
La gamification consiste à utiliser des mécanismes du jeu dans d’autres domaines. Les points, les séries de jours (« streaks »), les classements et les ligues poussent l’utilisateur à revenir chaque jour grâce à une boucle d’engagement : l’utilisateur reçoit une notification, effectue l’action, reçoit une récompense, puis un nouveau déclencheur relance sa motivation à interagir.
Popularisée dans les années 2010, la gamification touche aujourd’hui de nombreux domaines. Elle peut être très positive : en 2009, la Suède a transformé un conteneur à verre en jeu interactif. Les six trous du conteneur s’allumaient tour à tour, et le but était de jeter sa bouteille dans celui qui brillait. Résultat : le volume de verre recyclé a doublé grâce à cette idée ludique.
De même pour Kahoot!, plateforme qui transforme les cours et révisions en quiz interactifs. Les élèves sont plus motivés, plus attentifs et retiennent mieux les informations. Kahoot ! a ainsi conquis aussi bien les écoles que les entreprises pour des formations ou des événements.
L’État français est aussi entré dans ce créneau avec Pix, une plateforme publique d’évaluation des compétences numériques. En somme, la gamification entraîne de la motivation, mais elle devient négative lorsque le jeu prime sur le message ou l’apprentissage réel.
Le freemium : payer alors que c’est gratuit ?
Le freemium est un modèle économique consistant à offrir gratuitement un produit ou service de base tout en proposant des fonctionnalités avancées payantes via abonnement ou achats intégrés. Duolingo en est un exemple emblématique dans l’apprentissage des langues.
L’application propose un accès gratuit à la quasi-totalité des fonctionnalités pédagogiques, permettant à tout le monde d’utiliser la plateforme sans barrière financière.
Cependant, la version gratuite présente certaines limites : publicités fréquentes, restrictions comme les « cœurs » ( cinq au départ, chaque erreur en retire un ; pour continuer après avoir perdu les cinq cœurs, il faut payer ou attendre le lendemain), et un accès limité à certaines fonctionnalités comme les leçons hors ligne ou la réparation des séries (« streaks »).
Duolingo utilise ces mécanismes pour encourager subtilement la conversion vers Super Duolingo, son abonnement payant. Ce modèle lui permet de maximiser sa portée tout en monétisant une minorité d’utilisateurs.
Vos techniques d’apprentissage des langues
Les apprenants cherchent tous à trouver le bon équilibre entre plaisir et efficacité.
Pour Mathis, Babbel s’impose comme une solution plus sérieuse. Il estime que « c’est plus professionnel que Duolingo, même si c’est moins fun ». Après avoir testé les deux applications, il préfère « des leçons bien précises et structurées » et aime « comprendre clairement les règles » plutôt que de « se contenter d’apprendre des mots isolés ».
Jérémy a rapidement abandonné Duolingo. Il reconnaît que « Duolingo est sympa pour enrichir son vocabulaire », mais juge l’application trop limitée pour progresser réellement : « Peut-être que c’est utile quand on vit déjà dans un pays anglophone, sinon ce que ça t’apprend est trop spécifique ». Pour lui, les séries en version originale et la lecture en anglais sont plus efficaces : « Je préfère apprendre naturellement, sans traduction, plutôt qu’avec une app trop cadrée ».
Marie, quant à elle, utilise Duolingo comme un jeu : « J’aime bien Duolingo sur mon téléphone, notamment pendant mes 30 minutes de métro ». L’application lui permet de « réviser un peu et enrichir son vocabulaire », mais elle admet ses limites : « Si je devais payer, je prendrais plutôt un vrai livre d’exercices ou une appli plus sérieuse ».
Ces témoignages montrent que Duolingo séduit par son accessibilité, mais que beaucoup d’utilisateurs finissent par chercher des outils plus structurés et personnalisés pour progresser vraiment.