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    L’espace, entre mémoire céleste des peuples et ambitions modernes : une car­to­gra­phie en tension

    Entre récits fon­da­teurs et ambitions orbitales, le ciel est devenu un ter­ri­toire disputé. Jadis mémoire vivante des peuples autoch­tones, il est aujourd’hui fragmenté par les logiques de conquête et d’exploitation. À l’heure où les étoiles deviennent des cibles et les constel­la­tions des coor­don­nées stra­té­giques, il devient urgent de repenser notre manière de regarder l’espace, non comme une ressource, mais comme un héritage partagé.

    Le ciel étoilé au-​dessus de nos têtes a vu naître bon nombre de civi­li­sa­tions, du haut de ses 13,61 milliards d’années. Parmi elles, beaucoup l’ont utilisé comme guide, comme mémoire, comme carte vivante de leur ter­ri­toire et de leur histoire. Mais à une ère où l’avancée tech­no­lo­gique prime, l’espace s’est vu fina­le­ment dépouillé de son magni­fique mystère. Depuis les premières fusées lancées en 1957, l’espace est devenu le théâtre d’une conquête tech­no­lo­gique effrénée. Pourtant, bien avant Spoutnik, les cieux étaient déjà explorés — non pas par des machines, mais par les regards des peuples autoch­tones, notamment les Aborigènes d’Australie, qui y lisaient les saisons, les migra­tions, les lois sociales et les récits fon­da­teurs. Aujourd’hui, cette mémoire céleste semble s’effacer sous les débris de nos ambitions modernes.

    Dans certaines cos­mo­lo­gies autoch­tones, les cratères lunaires ne sont pas
    des impacts, mais ils repré­sentent les traces d’êtres mythiques. © Alice Vallet

    Une cos­mo­lo­gie aborigène enracinée dans le ciel

    Bien avant les satel­lites et les fusées, l’espace n’était qu’un dôme au-​dessus de nos têtes, inat­tei­gnable, inex­ploi­table. Il n’était que figures abs­traites et lumières aux origines inconnues, mais pour autant, inter­pré­tées. Les peuples abo­ri­gènes d’Australie obser­vaient le ciel pour y lire les lois du vivant. « L’astronomie indigène n’est pas du folklore. C’est un système de connais­sances sophis­ti­qué basé sur une obser­va­tion minu­tieuse. », résume Duane Hama cher, chercheur en astro­no­mie cultu­relle. L’Émeu céleste, présent notamment chez les peuples Wiradjuri et Kamilaroi, repré­sente une figure géante formée par les nuages de poussière sombre de la Voie lactée, servait de repère pour déter­mi­ner la navi­ga­tion et les cycles de vie : « Les peuples autoch­tones voient dans les taches sombres de la Voie lactée la sil­houette d’un émeu. », souligne Ray Norris, astro­phy­si­cien. Ces savoirs, transmis oralement, servaient à déter miner les saisons, les migra­tions animales, les moments de récolte, et même les règles sociales. La vie des peuples autoch­tones était donc guidée par un respect de la nature et de son fonc­tion­ne­ment, une harmonie des êtres jusqu’aux étoiles. « Cette concep­tion de l’espace perdure dans les tribus qui ont pu rester sur leur ter­ri­toire d’origine, et elle constitue les fon­de­ments de la culture et de la société tra­di­tion­nelles. », ponctue Nicolas Dieth, anthropo logue. Mais cette vision holis­tique du cosmos contraste fortement avec l’approche moderne, qui tend à frag­men­ter l’espace en zones d’exploitation. « L’espace et la culture sont indis­so­cia­ble­ment liés car le ter­ri­toire prend son sens grâce aux mythes qui l’investissent. », insiste Nicolas Dieth. Avec la conquête de l’espace est venue l’ambition de briser ce mystère qu’est notre galaxie et d’en exploiter tous les recoins. Par cette démarche, les cartes stel­laires ont été redé­fi­nies et la fonction unique, naturelle et har­mo­nieuse du ciel pour l’humain est donc devenue un terrain d’exploitation, en désaccord avec l’équilibre naturel plaçant l’espace comme souverain de l’humanité. Pourtant, comme le dit l’anthropologue, Marie Mauzé : « Les étoiles sont des ancêtres, des repères, des lois. Elles ne sont pas séparées de la terre, elles en sont le pro­lon­ge­ment ».

    Les premiers obser­va­toires modernes ont été construits au XVIIe siècle, mais les peuples autoch­tones obser­vaient déjà les phases de la lune bien avant l’invention des lentilles des téles­copes. © Haotian Zheng

    De Spoutnik à SpaceX : l’espace comme terrain de conquête

    Après des siècles de connais­sances spatiales trans­mises de géné­ra­tion en géné­ra­tion et de vie har­mo­nieuse entre les peuples et la nature, la conquête de terre inconnue, motivée par une ambition humaine naturelle, renaît avec l’avancée tech­no­lo­gique en dépit d’un héritage. En 1922, l’Union astro­no­mique inter­na­tio­nale a fixé quatre-​vingt-​huit constel­la­tions offi­cielles, excluant les repré­sen­ta­tions cultu­relles non occi­den­tales. Avec l’uniformisation de ces cartes célestes, de nom­breuses constel­la­tions autoch­tones ont été ignorées ou effacées. Les figures abo­ri­gènes, comme l’Emeu céleste ou la version Adnyamathanha des Sept Sœurs, ou les Pléiades, qui repré­sentent des femmes-​étoiles pour­sui­vies par un homme, un symbole trans­met­tant des valeurs cultu­relles, ne figurent pas dans les atlas modernes. Ce processus participe à une forme de colo­nia­lisme cosmique, où les savoirs ances­traux sont mar­gi­na­li­sés au profit d’une vision occi­den­tale de l’univers. Alors que les cartes célestes se stan­dar­disent et que les cos­mo­lo­gies autoch­tones sont reléguées à l’arrière-plan, l’espace cesse d’être un lieu de récits partagés pour devenir un champ d’expansion tech­no­lo­gique, amorçant une nouvelle forme de conquête, cette fois tournée vers les étoiles. La conquête spatiale débute offi­ciel­le­ment en 1957 avec le lancement de Spoutnik 1 par l’URSS. Ce jalon marque le début d’une course tech­no­lo­gique entre puis­sances, où l’espace devient un enjeu géo­po­li­tique, éco­no­mique et militaire. Une nouvelle sur face d’exploitation s’offre donc à l’humain, motivé par une ambition politique, comme le résume si bien Isabelle Sourbès-​Verger, géographe : « La conquête spatiale renforce l’image de puissance d’un État. » Depuis, plus de 10 000 satel­lites ont été envoyés en orbite, et les pro jets d’exploitation minière sur la Lune ou Mars se mul­ti­plient. Mais cette expansion a un coût : plus de 1,2 million de débris spatiaux de plus d’un cen­ti­mètre sont actuel­le­ment recensés autour de la Terre, avec une aug­men­ta­tion de 5 000 objets par an. Ces fragments, issus de col­li­sions ou de lan­ce­ments, menacent les satel­lites actifs et rendent certaines orbites quasi inuti­li­sables. L’astrophysicienne Sonia B.-Inkster, spé­cia­liste des savoirs autoch­tones, déplore cette situation : « Nous avons trans­formé le ciel en décharge, alors qu’il était autre fois un sanc­tuaire. Ce n’est pas seulement une pollution physique, c’est une pollution sym­bo­lique. »

    Vers une récon­ci­lia­tion cosmique ?

    Face à cette dualité, des ini­tia­tives émergent pour réin­té­grer les savoirs autoch­tones dans les pratiques astro­no­miques. Des pla­né­ta­riums, comme celui de Sudbury au Canada, proposent des lectures paral­lèles du ciel, mêlant science et spi­ri­tua­lité. L’Agence spatiale euro­péenne, quant à elle, commence à légiférer sur la gestion des débris spatiaux. Mais la question demeure : peut-​on explorer sans effacer ? L’espace, miroir de nos ambitions, pourrait aussi devenir le reflet de notre capacité à écouter les mémoires oubliées. Car dans le ciel, il n’y a pas que des satel­lites, il y a aussi des ancêtres. Le ciel n’est ni un simple décor, ni un objet d’exploitation mais un miroir du monde terrestre, un espace sacré où chaque étoile, astre et planète a un nom, une fonction, une voix. Alors, l’espace est-​il encore un lieu de mémoire ou n’est-il plus qu’un terrain de conquête ? Ne devrions-​nous pas plutôt laisser l’espace à son mystère et nous concen­trer à réparer les fissures causées à notre planète, notre Terre ?

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