Vendredi 31 octobre, la maternité des Lilas, en Seine-Saint-Denis, a fermé ses portes après soixante ans d’existence. Pionnière de l’accouchement sans douleur, cette institution incarnait une approche humaniste du soin. Sa disparition symbolise la fin d’un modèle et révèle la crise profonde que traversent les maternités françaises.
Un modèle de liberté, d’humanité et de féminisme
12 – 14 rue du Coq Français, en Seine-Saint-Denis. C’est là, en 1964, qu’est née une idée révolutionnaire : faire de l’accouchement un acte respectueux du corps des femmes. L’établissement s’est rapidement imposé comme le berceau de l’accouchement sans douleur, popularisé par le Dr Fernand Lamaze. À cette époque, Jeanne Weiss, alors anesthésiste-réanimatrice et présidente du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), y a milité aux côtés d’autres soignantes pour la liberté de l’avortement et de la contraception. Défiant les lois, la maternité pratiquait l’IVG clandestine bien avant la loi Veil de 1975, offrant aux femmes un accompagnement médical et humain.
La clinique se distinguait également par ses pratiques avant-gardistes : autorisation de la présence du père en salle d’accouchement, soutien actif à l’allaitement maternel et lutte contre la surmédicalisation. Là où il était courant d’endormir les patientes avec de l’éther ou du chloroforme pour faciliter l’usage de forceps, les équipes des Lilas favorisaient des naissances les plus naturelles possibles. « La maternité des Lilas, c’était un modèle de liberté, d’humanité, et de féminisme » résume Chantal Birman, sage-femme, pendant plus de cinquante ans à la maternité.
Le dernier souffle des Lilas
Depuis plus de dix ans, la maternité vivait sous la menace d’une fermeture administrative. Chaque année, elle enregistrait un déficit de 6 millions d’euros, jusqu’ici compensé par l’Agence régionale de santé (ARS), qui a choisi cet été de mettre fin à son soutien financier en lui retirant sa certification. Malgré une forte mobilisation citoyenne, les difficultés financières et le manque de personnel ont eu raison de l’établissement. La direction de l’hôpital évoque un contexte devenu intenable : difficultés de recrutement, normes de sécurité toujours plus exigeantes, absence de médecins de garde. En clair, la maternité n’avait plus les moyens humains de garantir les conditions saines d’un accouchement sécurisé 24 heures sur 24.
Le dernier accouchement a eu lieu quatre jours avant la fermeture, tandis que des IVG étaient pratiquées le dernier jour d’activité. La veille, une marche symbolique avait réuni plusieurs centaines de personnes, anciennes patientes et soignants venus faire leurs adieux à ce lieu emblématique.

Moins de structures, plus de contraintes
Pour Prisca Wetzel David, présidente de l’Unité Nationale et Syndicale des Sage-Femmes (UNSSF), cette situation illustre un problème structurel plus profond : « Le manque de professionnels de la périnatalité fragilise le système. Ce n’est pas seulement une question de budget, mais aussi une question démographique. Sans médecins de garde, une maternité ne peut tout simplement pas fonctionner. »
En France, la situation des maternités s’est considérablement dégradée. En 25 ans, leur nombre est passé d’environ 700 à 460, soit une baisse de 40 % *. Depuis les années 1970, la stratégie de regroupement des maternités favorise les grandes infrastructures, tandis que les petites maternités, jugées obsolètes, sont systématiquement marginalisées. Sur le terrain, les conséquences sont lourdes : allongement des trajets, saturation des services et perte du suivi personnalisé. Selon la DREES, près de 10 % des femmes ont un trajet de plus de 45 minutes pour rejoindre une maternité. Dans les zones rurales, ce délai peut devenir critique. « On parle aujourd’hui de déserts périnataux » explique la présidente de l’UNSSF. Les fermetures successives concentrent les naissances dans les maternités restantes. Résultat : charge de travail en hausse, fatigue accrue et conditions d’exercice dégradées pour les équipes. « Le lien humain disparaît peu à peu, les suivis deviennent impersonnels. » confie Mélina, sage-femme libérale.
4,1, le scandale des accouchements en France
En mars 2025, le livre-enquête « 4,1, le scandale des accouchements en France »*, d’Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, a mis en lumière les conséquences concrètes de cette crise. Selon l’INSEE, le taux de mortalité infantile a atteint 4,1 pour mille naissances en 2024, soit 2 800 bébés morts sur 700 000 naissances. Les journalistes relient cette hausse à la concentration des naissances dans les grandes maternités, conséquence directe des fermetures massives des petites structures. « On assiste à un démantèlement du réseau des maternités avec d’un côté des déserts médicaux et de l’autre des « usines à bébés », comme le disent les soignants que nous avons rencontrés », explique Sébastien Leurquin. Vivre à plus de 45 minutes d’une maternité double le risque de mortalité infantile. La diminution des césariennes programmées et le manque de moyens pour les centres de protection maternelle et infantile aggravent encore la situation.
La fermeture des Lilas s’inscrit dans une tendance nationale de restructuration hospitalière. Mais pour de nombreux professionnels, elle illustre surtout les limites d’un système de santé en tension, où la recherche d’efficacité finit souvent par éclipser la dimension humaine. *Édition Buchet Chastel
