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    Artistes en sursis : quand l’IA menace l’interprète humain 

    L’apparition de Tilly Norwood, actrice entiè­re­ment générée par intel­li­gence arti­fi­cielle et déjà repérée par plusieurs agences, a provoqué de vives réactions à Hollywood. Au-​delà de la contro­verse, c’est l’ensemble de la pro­fes­sion qui s’interroge. Dans le cinéma, le doublage ou même le théâtre, l’IA occupe une place de plus en plus visible. Certains y voient une nouvelle étape dans la création, d’autres y per­çoivent une menace. 

    Depuis la pré­sen­ta­tion de cette actrice inté­gra­le­ment virtuelle, les milieux artis­tiques s’inquiètent. Cette figure numérique, capable d’exprimer émotions et into­na­tions avec un réalisme inédit, repré­sente un tournant dans les pratiques de l’audiovisuel. Dans les studios comme sur les scènes de théâtre, l’intelligence arti­fi­cielle n’est plus un simple outil de post-​production. Des publi­ci­tés aux jeux vidéo, des doublages aux films, les algo­rithmes sont désormais capables de générer voix, visages et mou­ve­ments sans inter­prète humain.

    « Nous assistons à une trans­for­ma­tion aussi radicale que l’arrivée du cinéma sonore ou de la couleur », estime Manon Fenot, étudiante en école de cinéma. « L’IA ne va pas faire dis­pa­raître le jeu d’acteur, mais elle va néces­sai­re­ment repré­sen­ter une contrainte. » Les jeunes comédiens devront désormais apprendre à jouer avec des par­te­naires virtuels, « à réagir à des avatars projetés plutôt qu’à des corps réels ».

    Un métier à redéfinir

    Pour les jeunes artistes, cette évolution est à la fois source d’angoisse et d’excitation. Les écoles de théâtre et de cinéma intègrent pro­gres­si­ve­ment des modules sur la modé­li­sa­tion numérique et le travail avec l’intelligence arti­fi­cielle. L’objectif ? Comprendre ces tech­no­lo­gies pour mieux les maîtriser et les appré­hen­der, plutôt que de les subir.

    Les studios, eux, avancent vite. Les logiciels de géné­ra­tion d’images per­mettent de produire figurants ou seconds rôles virtuels en quelques heures. Les voix peuvent être clonées, les expres­sions modifiées, les langues traduites auto­ma­ti­que­ment. Cette auto­ma­ti­sa­tion remet en question la valeur du travail humain dans les pro­duc­tions de masse, constate Manon Fenot, face à cette pression crois­sante et s’inquiète.

    Tilly Norwood une l’actrice virtuelle. Elle a été présentée pour la première fois au festival du film de Zurich. ©Wikicommons

    « Quand on voit que certaines agences signent déjà avec des acteurs virtuels, on comprend que le rapport de force change. Pour un pro­duc­teur, une IA ne se fatigue pas, ne demande pas de cachet et peut jouer dans toutes les langues. Mais qu’est-ce qu’il reste alors de l’alchimie entre deux acteurs, de l’improvisation et de l’erreur qui rend un jeu vivant ? »

    Cette inquié­tude rejoint celle de nombreux pro­fes­sion­nels du doublage, dont le travail est direc­te­ment menacé par les tech­no­lo­gies de synthèse vocale. Certains studios utilisent déjà des modèles capables de recréer la voix d’un acteur disparu ou d’adapter auto­ma­ti­que­ment les dialogues à plusieurs langues tout en conser­vant les into­na­tions d’origine. Une avancée qui remet gran­de­ment en cause la nécessité et le travail des acteurs de doublage.

    L’arrivée de l’IA ne signifie pas néces­sai­re­ment la dis­pa­ri­tion des acteurs, mais elle modifie la nature même du métier. Les pro­duc­teurs y voient un moyen de réduire les coûts. Une IA peut rapi­de­ment générer des centaines de visages crédibles, des voix multiples et des mou­ve­ments réalistes. Pour les grandes pla­te­formes de diffusion, cela repré­sente une pro­duc­tion plus rapide et moins dépen­dante des contraintes humaines.

    Ces usages inquiètent les pro­fes­sion­nels. En France, les syndicats et les ins­ti­tu­tions appellent à une cla­ri­fi­ca­tion. Ils plaident pour un enca­dre­ment des usages, une mention obli­ga­toire des contenus générés par IA, et la création d’un label garan­tis­sant la présence d’acteurs humains.

    Des droits encore mal définis

    Si l’intelligence arti­fi­cielle bou­le­verse la pratique artis­tique, elle met aussi à l’épreuve le droit. À qui appar­tient une per­for­mance lorsqu’elle est générée par un algo­rithme ? Le visage d’un acteur peut-​il être reproduit sans son accord ? Et comment rémunérer une voix syn­thé­ti­sée à partir d’un échan­tillon réel ?

    Pour Ilona Decasteicker, chargée de travaux dirigés en droit du numérique à l’université, « le cadre juridique actuel n’est pas plei­ne­ment conçu et délimité pour ces situa­tions ». Ces zones grises favo­risent les abus. Certaines entre­prises ont déjà été accusées d’entraîner leurs modèles à partir d’archives sans auto­ri­sa­tion, en exploi­tant la voix ou le visage d’artistes sans contrepartie.

    Aux États-​Unis, les négo­cia­tions entre syndicats et studios après la grève de 2023 ont permis d’obtenir quelques garanties, mais la mise en œuvre reste inégale. « Le droit à l’image protège une personne iden­ti­fiable, mais quand une IA crée un visage qui lui ressemble sans être par­fai­te­ment identique, la qua­li­fi­ca­tion devient floue. Même problème pour les voix. Il n’existe pas encore de juris­pru­dence solide sur la question de repro­duc­tion numérique », ajoute-t-elle.

    En France, les syndicats d’acteurs réclament un enca­dre­ment spé­ci­fique, inspiré du droit d’auteur. Les comédiens sou­haitent pouvoir percevoir une rému­né­ra­tion chaque fois que leur image ou leur voix sont utilisées par une IA.

    Le Centre national du cinéma (CNC) étudie actuel­le­ment des pistes pour renforcer la pro­tec­tion des inter­prètes, mais les dis­cus­sions avancent lentement. L’Union euro­péenne prépare notamment une régle­men­ta­tion générale sur l’intelligence arti­fi­cielle, l’AI Act, qui prévoit notamment un enca­dre­ment des contenus syn­thé­tiques. Reste à savoir comment cette obli­ga­tion sera appliquée dans le domaine artistique.

    De « vrais » inter­prètes en répé­ti­tion sur la scène du Théâtre du Nord, à Lille. ©Constance Pascal

    Un équilibre qui reste à trouver

    Si la crainte du rem­pla­ce­ment est omni­pré­sente, certains pro­fes­sion­nels plaident pour une approche plus nuancée. L’IA, affirment-​ils, pourrait devenir un outil au service de la créa­ti­vité, à condition qu’elle soit utilisée de manière éthique et contrôlée.

    Ce recours à l’intelligence arti­fi­cielle menace par­ti­cu­liè­re­ment les pro­duc­tions à petit budget, qui pour­raient être tentées d’abandonner les comédiens humains pour réduire leurs coûts. À terme, cela pourrait limiter les débouchés pour les jeunes acteurs, dont les premiers rôles reposent souvent sur des projets indépendants.

    Pour les étudiants, la période est donc charnière. « On sait que le monde du cinéma sera différent quand on arrivera plei­ne­ment dans le métier », reconnaît Manon Fenot. « On nous dit d’apprendre à tra­vailler avec ces outils, mais personne ne sait vraiment quelle place on aura dans cinq ou dix ans. »

    À l’EICAR, l’École inter­na­tio­nale de création audio­vi­suelle et de réa­li­sa­tion à Paris, plusieurs ateliers explorent déjà la coha­bi­ta­tion entre acteurs et IA. Les élèves y impro­visent avec des par­te­naires virtuels projetés sur écran. L’objectif est d’étudier ce que l’humain conserve dans l’interprétation.

    Malgré les progrès tech­niques, l’IA ne sait pas encore repro­duire la spon­ta­néité d’une émotion, ni la pleine incar­na­tion d’un per­son­nage. C’est sur cette sin­gu­la­rité que les acteurs misent pour défendre leur place.

    « Un acteur, c’est une personne qui doute, qui respire, qui se trompe. Tant que le spec­ta­teur voudra ressentir ça, il y aura besoin d’artistes », ajoute Manon Fenot. Si les IA peuvent repro­duire un visage ou une voix, elles ne savent pas encore incarner un per­son­nage. Le danger n’est pas que les machines jouent mieux que les acteurs, mais qu’on finisse par ne plus faire la différence.

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