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    Visiteuses de prison : l’amour au-​delà des barbelés

    À l’occasion de la journée nationale des prisons, ce 21 novembre, nous avons passé quelques heures dans le parloir d’une maison d’arrêt lilloise. Parfois, l’amour y naît et devient leur ultime addiction. Elles étaient visi­teuses de prison, elles sont devenues épouses de détenus. D’un côté du mur à l’autre, confidences.

    « Nous nous sommes ren­con­trés au mitard », se souvient avec un grand sourire aux lèvres, Sarah*. Comme tous les samedis matins, elle a un rendez-​vous qu’elle ne man­que­rait « pour rien au monde ». Dans quelques instants, elle pénètrera dans les parloirs de la prison de Lille-​Sequedin, où Lucas*, son époux, purge les derniers mois de sa peine pour trafic de stupéfiants.

    « Il y a deux ans, j’ai décidé de devenir visiteuse de prison. J’avais envie de faire quelque chose de bien pour les autres… Puis je n’ai jamais connu mon père qui est mort en détention », confie avec pudeur la tren­te­naire. Il y a dix-​huit mois, elle rencontre Lucas, un jeune homme isolé, « un gosse de l’ASE », incarcéré à 200 kilo­mètres de sa région natale. Et le coup de foudre est immédiat. 

    « Fini les conneries, je voulais épouser cette femme »

    Leur relation se construit au rythme des parloirs. « Au début, j’avais des réti­cences à faire appel à des visiteurs de prison. Finalement, c’était une excuse pour sortir de ma cellule. Et heu­reu­se­ment que je l’ai fait ! » se rappelle Lucas. Sarah lui raconte la vie à l’extérieur, tente de l’aider à se bâtir des projets pour l’avenir… Et le jeune homme se sent revivre : « Elle m’apportait sa force, et son attention. J’avais le sentiment d’exister pour quelqu’un ». Il y a six mois, lors d’une per­mis­sion, le couple se marie à la mairie de Lille. « J’ai enfin des plans pour l’avenir, pour l’après-prison. Fini les conneries, je veux me ranger avec cette femme qui m’a ébloui », explique-​t-​il, avec émotion. 

    Dans quatre mois, Lucas sera libre. Et le couple grouille de projets. Grâce à Sarah, le jeune homme a trouvé un emploi dans un res­tau­rant lillois. La jeune femme vient d’emménager dans un appar­te­ment qui n’attend plus que l’arrivée de son époux. « On aimerait avoir un enfant lorsque nous serons enfin réunis… Avoir enfin une vie de famille normale », expose timi­de­ment Sarah. Lucas complète : « On veut filer un bonheur simple : une femme, un bébé, un boulot, un appart’, aujourd’hui, ça me suffit ! » 

    Un braquage d’amour… 

    Des centaines de kilo­mètres plus loin, une autre histoire d’amour rocam­bo­lesque est née au coeur de la prison de Fresnes, en région pari­sienne. Il y a 20 ans, Jamila est une ambi­tieuse étudiante en droit qui se destine à la magis­tra­ture. Avant de sauter le pas, elle adhère à l’association Genepi, qui permet aux étudiants d’aller dispenser des cours aux personnes incar­cé­rées. 

    « Michel Vaujour était au quartier d’isolement lorsque j’ai été rattachée à la prison de Fresnes, se rappelle-​t-​elle, J’ignore pourquoi, mais j’ai eu envie de le voir. Je cor­res­pon­dais avec lui depuis deux ans. On s’était envoyé des milliers de lettres. » Mais ren­con­trer le bandit le plus connu des années 2000 relève du parcours du com­bat­tant. Elle s’arme de blanco, de pho­to­co­pies, et griffonne son pass en y ajoutant le nom de Michel Vaujour. Le jour J, carte d’identité en main, légè­re­ment anxieuse, elle passe les gardiens sans dif­fi­culté. Michel est impres­sionné du parcours de la jeune femme pour arriver jusqu’à lui, dans le lieu le plus her­mé­tique de la prison.  « Il m’a dit : tu es au cœur du système, tu ne te rends pas compte ! », se souvient Jamila. S’ensuit le début d’une histoire d’amour qui dure depuis plus de 20 ans, avec ses hauts, mais aussi ses bas.

    De visiteuse de prison à amante puis détenue…

    « Michel avait la force et moi j’avais les rêves. Or, sa date de libé­ra­tion était prévue pour 2037. Je ne pouvais pas attendre. J’étais prête à tout pour vivre avec l’homme que j’aimais », raconte Jamila. La jeune femme décide de pro­gram­mer son évasion. Elle trouve un complice, un héli­co­ptère et braque à main armée les couloirs de la prison en 1993. Mais la tentative échoue et elle est condamnée à sept ans de détention. Elle en réalise cinq. 

    Libérée en 1998, elle supplie Michel de tenir bon, car elle a un nouveau plan : la justice. Elle oeuvre à le faire libérer comme le permet la loi pour bonne conduite. Ils se marient en détention. Elle l’attend. Cinq ans. En 2003, Michel Vaujour sort par la « grande porte ». « Michel n’avait pas connu la liberté depuis ses 18 ans. Il est sorti, il en avait 52 », se souvient-​elle, émue. La liberté, ils l’ont trouvée et par amour désirent y rester. Depuis, ils coulent le fleuve tran­quille d’une félicité parfaite loin des braquages d’autrefois.

    Promesse de rencontre humaine, tremplin vers une réin­ser­tion sociale réussie

    Au-​delà de l’amour, ce sont des ren­contres humaines qui se tissent d’un côté et l’autre du mur. Dans l’ombre des citoyens lambdas qui deviennent du jour au lendemain visiteurs de Prison. Hubert Gourden est secré­taire général de l’association des Visiteurs nationale de Prison (ANVP), lui-​même visiteur depuis quatre ans à la maison d’arrêt de Bois‑D’Arcy. « Je pense qu’une société mesure sa qualité dans sa capacité à accom­pa­gner les plus faibles. Les détenus sont parmi les plus reclus dans notre société et mal consi­dé­rés. Il est de notre honneur et de notre intérêt de bien s’occuper de ces personnes », explique-​t-​il. 

    « Je pense qu’une société mesure sa qualité dans sa capacité à accom­pa­gner les plus faibles. »

    À la recherche de relation humaine avec « une personne comme une autre », le visiteur de prison joue un rôle dans la réin­ser­tion sociale des détenus. « Nous sommes un contact de l’extérieur qui le pousse à se posi­tion­ner par rapport à sa sortie, il ajoute,  Nous sommes dans la relation psy­cho­lo­gique et force de sti­mu­la­tion, un soutien émo­tion­nel aussi. Nous sommes leur fenêtre vers l’extérieur. » L’ANVP dénombre aujourd’hui plus de 1.500 visiteurs présents dans tous les éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires, en métropole comme en outre-mer.

    À coup sûr, il est la promesse tenue d’une belle rencontre où parfois l’amour se mêle au rendez-​vous. À l’horizon, un seul but, celui d’offrir une seconde chance aux détenus. « Pour le meilleur et pour le pire… Finalement, on doit toute la force de notre amour à l’univers carcéral. La prison fait partie de nous, de notre histoire. » , constate Jamila. Sarah s’amuse : « Appelez-​nous les visi­teuses de l’amour ! » Des contes de fées modernes qui s’écrivent au présent. Et rayonnent un jour au-​delà des barbelés, grâce à la liberté.

    * Par souci d’a­no­ny­mat les prénoms ont été changés. 

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