Le 17 janvier dernier, le préjudice moral et financier de la tribu māori Ngati Maru a enfin été reconnu par le gouvernement néo-zélandais. Dans le cadre du traité de Waitangi, Andrew Little, ministre néo-zélandais en charge des négociations, a alloué trente millions de dollars et restitué seize sites d’importance culturelle à la tribu. Un symbole fort, qui s’inscrit dans une politique volontariste de réparation des atrocités de la colonisation.
« La Couronne présente ses excuses les plus sincères pour les actions qui ont rendu votre tribu presque totalement dépourvue de terres, qui ont rompu votre lien avec votre terre et qui ont infligé des difficultés économiques et des souffrances à des générations de votre peuple ». C’est en ces termes qu’Andrew Little s’est adressé aux représentants de la tribu des Ngāti Maru le 17 janvier dernier. Entre 1840 et les années 1970, la tribu avait subi la violence du gouvernement colonial britannique, qui l’a privée d’une grande partie de ses terres sacrées et de ses richesses.
Flashback : qui sont les māori ?
Les Māori sont originaires de Polynésie, plus précisément de l’archipel de Bismarck. Vers le 8è siècle, ils s’installent sur une île encore inhabitée : la Nouvelle-Zélande. Si les historiens relèvent plusieurs interactions entre les tribus Māori et les peuples européens entre le 17e et le 19e siècle, souvent ponctuées d’épisodes de violence, 1840 marque un tournant : la reine Victoria, reine d’Angleterre, annexe la Nouvelle-Zélande et fait des Māori des sujets de la couronne britannique. Par le traité de Waitangi, signé par la reine et 500 chefs de tribus Māori, elle leur fait une promesse : leur droit de posséder leurs terres est préservé, de même que l’autonomie de leur tribu.
Aujourd’hui, l’île compte plus de 892 000 Māori, soit 17,4 % de la population néo-zélandaise. Et c’est sans compter la diaspora australienne qui compte environ 140 000 personnes.
… Mais alors, où est le problème ?
En réalité, la colonisation ne s’est pas déroulée aussi bien que les premiers échanges entre les Britanniques et les Māori pourraient le laisser penser. À peine 20 ans plus tard, dans les années 1860 et jusqu’en 1872, les « guerres Māori » éclatent. Deux raisons principales à cela : la controverse sur l’achat de terres sacrées et la tentative des Māori de la région de Waikato d’établir une monarchie concurrente.
Les colons, qui y voyaient une rébellion, ont puni les Māori en leur confisquant de vastes étendues de terre. Peu à peu, le pouvoir des tribus Māori est érodé par le gouvernement britannique, qui confisque les terres ou, lorsqu’il les achète, les sous-paie considérablement.
En conséquence, à la fin du XIXe siècle, les Māori sont entrés dans une période de déclin. Au début du XXe siècle, on estime que 97 % des terres des Māori ont été confisquées. La campagne menée pendant des décennies pour s’emparer illégalement de leurs terres et les obliger à s’assimiler aux coutumes britanniques a laissé les Māori avec des résultats médiocres en matière de santé et d’éducation, sans richesse, avec peu d’opportunités d’emploi et des conditions de logement déplorables sur le peu de terres qu’ils conservaient encore au 20e siècle.
Du point de vue du gouvernement néo-zélandais, la version officielle n’est pas si radicale : les relations raciales dans le pays sont même idylliques. Un journal de la ville d’Auckland rapporte que « les Māoris ont toujours été loyaux envers l’Empire britannique […]. La Nouvelle-Zélande est un pays qui n’a jamais été conquis ou annexé … c’était un accord mutuel ». Selon Carwyn Jones, « Le mythe selon lequel la Nouvelle-Zélande entretient d’excellentes relations interraciales, et le traité de Waitangi est souvent cité en exemple, a été perpétué, et nous avons négocié cette souveraineté par consentement ».
Vers une réparation du tribut Māori ?
Ce n’est que dans les années 1970, près de 130 ans après la colonisation, que le gouvernement néo-zélandais et la monarchie britannique ont commencé à reconnaître les atrocités de la colonisation. Dans ce processus, un événement a été décisif : le 13 octobre 1975, 5 000 marcheurs Māori et pākehā, deux tribus Māori, ont effectué une marche de 660 miles jusqu’au Parlement à Wellington, en Nouvelle-Zélande, pour demander des explications au Premier ministre.
La Couronne a créé un tribunal chargé d’enquêter sur la manière dont le gouvernement avait violé la souveraineté des Māori et d’offrir une réparation sous la forme d’un règlement en espèces et en terres ou d’une indemnisation.
En conséquence, un tribunal spécial, le Waitangi Tribunal, a également été créé. Son objectif ? Recevoir les plaintes des Māori qui s’estimaient lésés par le non-respect du traité de Waitangi. Mais l’esprit du texte est resté longtemps lettre morte.
Dix ans plus tard, en 1985, le gouvernement a donné au tribunal des pouvoirs rétrospectifs, c’est-à-dire la possibilité d’enquêter sur des violations historiques de la souveraineté des Māori remontant au traité de Waitangi de 1840.
À la suite de cet amendement, le tribunal a commencé à enquêter et à faire rapport sur les revendications liées au traité concernant la restauration de la langue Māori, la gestion de la pêche et la réforme foncière Māori. Bien que le tribunal n’ait pas le pouvoir de négocier ou de régler les plaintes, il émet des recommandations sur les plaintes dont il est saisi.
Mais les discussions sont très compliquées : 150 tribus Māori demandent réparation. Toutes ont des griefs différents, malgré certains points communs, comme la restitution des terres, des eaux, des mers, des pêcheries, des minéraux et d’autres ressources ; la protection de l’environnement naturel ; la reconnaissance des actions flagrantes de la Couronne ; et la restauration de la langue et de la culture Māori
Le tout premier accord du traité de Waitangi a finalement été signé entre le gouvernement néo-zélandais et les tribus Waikato-Tainui en 1995. Un montant de 170 millions de dollars leur a été alloué. Le gouvernement a officiellement reconnu la confiscation injustifiée de 1,2 million d’acres de terres Waikato dans les années 1860. L’accord prévoit également la restitution des terres et le droit de préemption.
Le symbole est fort : l’accord est l’aboutissement de plus de 30 ans de lutte pour obtenir réparation après que la Couronne a manqué à ses devoirs envers les Māori en vertu du traité de Waitangi. Depuis lors, on estime que 79 autres règlements ont suivi. 97 lois de règlement ont été signées et 73 autres ont été adoptées.
La dernière en date ? Le 17 janvier 2023, lorsque la tribu Ngatia Maru a obtenu réparation. Andrew Little, le ministre néo-zélandais chargé de négocier le traité de Waitangi, a reconnu que « la relation des Ngāti Maru avec la Couronne était caractérisée par la perte de terres, d’identité et d’autonomie. Pour les Ngāti Maru, cette perte a laissé un héritage de dislocation et de dépossession. » Il ajoute : « La Couronne présente ses excuses sincères pour ces actions qui ont rendu votre tribu presque totalement dépourvue de terres, rompu votre lien avec votre terre et infligé des difficultés économiques et des souffrances à des générations de votre peuple. » En plus de ces excuses officielles, 30 millions de dollars néo-zélandais leur ont été alloués et 16 sites d’importance culturelle leur ont été restitués.
En septembre 2022, la tribu Waikato, forte de 46 000 membres, a également obtenu gain de cause. Le gouvernement a reconnu les atrocités commises par la Couronne, notamment les meurtres « aveugles » et l’aliénation « massive » des terres tribales. La tribu a reçu 177 millions de dollars néo-zélandais, la cinquième plus importante somme de ce type en Nouvelle-Zélande, ainsi que la restitution de 36 sites d’importance culturelle.
Et maintenant ?
Les tribus Māori ont utilisé les règlements pour investir dans des opportunités commerciales, des programmes de santé et d’éducation, et comme moyen de restaurer leur relation avec la terre. Bien que le gouvernement néo-zélandais doive encore examiner les cas de quelque 40 tribus maories, ce système a permis aux Maoris d’obtenir une pleine reconnaissance politique. A tel point qu’une sorte de maillage se dessine aujourd’hui entre la common law britannique et le tikanga, la première loi indigène du pays.
L’ancienne Première ministre Yacinda Ardern fait figure de leader en la matière : après avoir remporté les élections en 2020, elle a intégré 25 % de Maoris dans son gouvernement.
Grâce à ce système de réparation, la Nouvelle-Zélande fait œuvre de pionnier et explore ce à quoi pourrait ressembler la justice pour les personnes déplacées de leur terre et dépouillées de leur pouvoir – et ce qui se passe lorsqu’un pays prend des mesures pour faire face à son passé.