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    « Ce ne sont pas des numéros, mais des hommes ! »

    Infirmière péni­ten­tiaire, c’est le pari qu’a relevé Lisa durant dix-​sept ans à la prison de Lille-​Loos-​Sequedin. Difficultés des soins, précarité de l’univers carcéral, misère humaine et espoir de réin­ser­tion sociale… Portrait d’une femme qui a décidé de (se) donner une seconde chance. 

    « J’ai eu de la chance », débute-​t-​elle. Dans sa première vie, Lisa était tech­ni­cienne de labo­ra­toire d’analyse dans un éta­blis­se­ment privé. Sérieuse et conscien­cieuse, ses supé­rieurs lui proposent très vite de suivre une formation d’infirmière afin de pouvoir réaliser les pré­lè­ve­ments à domicile. Durant ses études, l’obligation des labo­ra­toires à compter une infir­mière dans leur rang disparait. « Officiellement, mon directeur m’a licenciée. Officieusement, il a financé mes études », se souvient-​elle avec émotion. Un ange gardien qui lui permet donc de trouver sa véritable vocation. 

    Tout juste diplômée en 1998, elle commence par exercer dans un pavillon de psy­chia­trie adulte au CHRU de Lille. Quelques mois plus tard, en octobre 1999, Lisa tente une nouvelle aventure à l’unité de soins ambu­la­toires du centre péni­ten­tiaire de Lille-​Loos-​Sequedin. Elle y restera dix-​sept ans. « Il y a beaucoup de postes vacants qui sont sur la base du volon­ta­riat. C’est quand même très spé­ci­fique et la prison rebute », remarque-​t-​elle. Pourtant, cet univers carcéral l’a toujours inté­res­sée et durant ses études, elle y avait déjà effectué un stage. 

    Je me suis empri­son­née moi-​même  

    Lisa voulait donner du sens à son métier, tout sim­ple­ment : « Ce micro­cosme me fascinait. Sans idées malsaine ou curiosité mal placée, bien sûr. J’avais envie de soigner des gens de façon dif­fé­rente ». La femme au regard vert confie sa vérité, sincère, et tout en pudeur. « Cette décision est reliée à mon histoire per­son­nelle. Quelques jours après mon “incar­cé­ra­tion“, j’ai réalisé que mon passé m’avait conduit ici. Et que je savais pourquoi j’étais là. Je me suis empri­son­née moi-​même », assure-​t-​elle. Courageuse, Lisa n’a pas peur de mettre en mot un récit de vie dou­lou­reux, car « incons­ciem­ment » , elle a aujourd’hui payé sa « dette ». 

    À l’âge de 16 ans, elle est victime d’un accident de voiture. Dans le choc, il y a deux morts. Un frère et une soeur. Coïncidence morbide, « une autre Lisa de 16 ans ». Vivante, la culpa­bi­lité s’invite dans cette « vie d’après » et dans le coeur de la jeune femme rescapée : « Je souffre du syndrome du survivant. J’ai toujours eu le sentiment d’avoir pris la place de quelqu’un d’autre. » Quarante ans et plusieurs thérapies plus tard, Lisa réalise que par cette incar­cé­ra­tion volon­taire et acceptée, elle a remis en quelque sorte les compteurs de sa propre existence à zéro. 

    Au cœur d’une unité de soins ambu­la­toire 

    « Je n’ai jamais eu peur en prison. Du moins, sur le moment. A pos­te­riori, je réalisais quelques fois les situa­tions dan­ge­reuses que nous avions évitées », relate Lisa, qui s’est toujours sentie bien entourée malgré l’équipe réduite de soignants dans une unité de soins ambu­la­toire au sein d’une prison. Deux infir­mières, un psy­chiatre et un psy­cho­logue… pour 895 détenus ! 

    Ses missions quo­ti­diennes ? La sur­veillance somatique des détenus, la pré­pa­ra­tion et dis­tri­bu­tion des médi­ca­ments, les entre­tiens « relations d’aide », prescrits par le médecin pour détecter, sta­bi­li­ser et orienter les personnes incar­cé­rées. « Nous devions aussi faire des retours au médecin sur les effets des trai­te­ments, les résultats des soins… Nous évaluions aussi l’évolution des patho­lo­gies psy­chia­triques au quotidien de certains détenus, le psy­chiatre et le psy­cho­logue n’étant pas à temps plein à la prison. Nous devions prioriser les cas, en fonction de ce que nous confiaient les pri­son­niers », explique-​t-​elle. 

    À l’ombre, le Sida, les hépatites et les « psy­cho­pathes » 

    Derrière les barbelés, elle raconte avoir observé un grand nombre de maladies lourdes, SIDA, hépatites, qui demandent un suivi minutieux de la part des infir­miers. Au fil du temps, Lisa constate que les soins soma­tiques sont très vite dépassés par les soins psy­chia­triques. Dès 1990, le centre péni­ten­cier de Lille-​Loos-​Sequedin accueille moins de ter­ro­ristes et de braqueurs, car peu à peu, les « psy­cho­pathes » deviennent majo­ri­taires, ainsi que des détenus marqués par la drogue. 

    Deux infir­mières, un psy­chiatre et un psy­cho­logue… Pour 895 détenus ! © Marie Chéreau

    « Il fallait sur­veiller la prise des trai­te­ments pour l’arrêt des toxiques. Certains arri­vaient vraiment à redevenir clean », se rappelle-​t-​elle. Pour l’infirmière, les détenus sont tota­le­ment infan­ti­li­sés : il faut vérifier qu’ils avalent bien leurs comprimés, qu’ils se lavent, qu’ils aillent en promenade : « Ils sont dépendant du monde carcéral pour vivre et fina­le­ment le soin n’est pas obli­ga­toire. Certains refu­saient de prendre tout trai­te­ment… » Elle se souvient de longues négo­cia­tions avec quelques malades pour qu’ils acceptent les trai­te­ments, avant la levée d’écrou et l’hospitalisation forcée en dernier recours. 

    Je repré­sente le soin, en aucun cas, je suis la justice  

    Selon elle, la lourdeur du fonc­tion­ne­ment carcéral vient faire obstacle aux soins. « C’était difficile de faire accepter à la péni­ten­tiaire que notre unité et ses 100 mètres carrés, sont dédiés à un soin et à de l’humanitaire » , observe-​t-​elle. Car une fois qu’elle enfile sa blouse, Lisa laisse ses convic­tions per­son­nelles derrière elle. L’infirmière refusait de savoir pour quelles raisons les détenus étaient incar­cé­rés alors que le personnel de santé a bien entendu accès à la fiche d’écrou : « C’était des numéros d’écrou. Pour moi, on ne peut pas soigner un numéro. Je soigne des hommes ». 

    Sa prin­ci­pale tâche a été d’humaniser les détenus avant de les prendre en soin. L’arrivée de femmes dans l’équipe soignante a été, d’après elle, synonyme d’un nouveau regard offert sur la popu­la­tion écrouée. « Je repré­sente le soin, en aucun cas, je suis la justice », justifie-​t-​elle. Elle se souvient de nombreux moments de partages incroyables avec cette part de l’humanité souvent « oubliée ». Lisa avoue avoir été portée par les ren­contres et l’espoir qui baignait certains détenus aux volontés hors normes de se réinsérer. 

    Des détenus aux enfants hos­pi­ta­li­sés en pédo­psy­chia­trie, un chan­ge­ment de cap pas si paradoxal… 

    Elle raconte l’histoire d’un sportif de haut niveau des pays de l’Est avec hygiène de vie drastique au destin tragique. Après une victoire nationale, il était sorti dans des bars, avait abusé de l’alcool et vu sa compagne se faire embrasser par un de ses amis. « Il a pété un plomb et commis un crime pas­sion­nel », commente-​t-​elle. Mais dès son entrée, il a accepté une prise en charge en psy­chia­trie, accepté de faire un vrai che­mi­ne­ment pour com­prendre et avancer après cet acte. Cet homme s’est notamment inscrit dans un atelier mar­que­te­rie. « Il préparait l’après. Et malgré ses trente ans, ses longues années de peine, il se pla­ni­fiait un avenir pro­fes­sion­nel », se souvient-​elle, un sourire aux lèvres.

    Aujourd’hui, face à elle, des enfants. Il y a six ans, Lisa a purgé défi­ni­ti­ve­ment sa peine. Et sa rédemp­tion, elle l’a trouvé à l’unité pédo­psy­chia­trique au CHRU de Lille. « Ce sont des jeunes aux destins déjà bien fracassés. Ils sont fragiles. Je les écoute et je veux les aider. Pour qu’ils évitent de finir tota­le­ment brisés et enfermés », décrit-​elle avec convic­tion. Au côté de Pauline, Théo, Tim et Anaëlle, elle rit. L’insouciance, elle veut la préserver, leur offrir la pos­si­bi­lité « d’une seconde chance » : « malgré le passé bancal et l’avenir incertain, on leur dévoile la pos­si­bi­lité de se construire soi-​même pour le meilleur. » Au cachot, le pire et le désespoir.

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