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    Qui est Lula, de retour au pouvoir au Brésil après 11 ans ?

    Élu le 30 octobre dernier avec une légère avance sur le président sortant Jair Bolsonaro, l’ancien président brésilien est de retour au pouvoir, en attente de son inves­ti­ture. Retour sur une per­son­na­lité majeure de l’Amérique latine contemporaine.

    Président pendant 8 ans à la tête de la répu­blique bré­si­lienne, Luiz Inácio Lula da Silva vient d’être élu de nouveau à la tête du pays le 30 octobre à la suite d’un second tour serré. Le candidat de gauche l’emporte avec 50,9 % des voix face au président sortant Jair Bolsonaro, ce qui en fait le second tour le plus serré de l’his­toire politique bré­si­lienne. L’observateur remar­quera qu’il est rare qu’un ancien chef d’État, d’autant plus au pouvoir pendant deux mandats de quatre ans, revienne au pouvoir après dix ans. Ce retour en grâce est d’autant plus sur­pre­nant quand on sait que l’homme a été mis en détention en avril 2018, libéré après 20 mois grâce au fait que la Cour Suprême estime que son jugement soit non définitif. Le parcours de Lula est unique, d’ouvrier syn­di­ca­liste à président de la République, Barack Obama estimait qu’il était « le poli­ti­cien le plus populaire du monde » à l’oc­ca­sion du sommet du G20 de 2009.

    Un enfant du Nordeste ancré dans la lutte sociale

    « Lula » n’est à la base qu’un surnom, le diminutif de son prénom Luiz. Surnom que le fils du Pernambouc intègre à son nom de famille sur les registres de l’état civil en 1982. Septième enfant d’une famille pauvre né en 1945, fils d’un père docker qui part fonder une autre famille, il quitte l’école à 10 ans pour aider sa mère. Après avoir été cireur de chaus­sures, il rejoint l’in­dus­trie métal­lur­giste à 14 ans : il devient tourneur dans une usine de São Paulo. C’est là qu’il perd son auri­cu­laire gauche en raison d’un accident de travail. Alors que le Brésil connaît une crois­sance éco­no­mique très impor­tante dans les années 1960, l’ouvrier se politise et adhère au syndicat de la métal­lur­gie à 21 ans. Il se jette dans le syn­di­ca­lisme à corps perdu, peut-​être pour oublier un drame intime : la mort de sa femme et de son premier enfant en couche. En 1975, l’enfant de Caetés devient le président de ce même syndicat. Dans les années 1980, l’en­tre­prise Volkswagen où il travaille collabore avec la dictature militaire – la « Cinquième République » datant du Coup d’État du maréchal Castelo Branco d’avril 1964 – et renseigne le régime sur le leader syndical. À cette époque, Lula fait de nombreux séjours en prison.

    Lula fait un discours à ses collègues métal­lur­gistes © Wikimedia Commons

    Du syn­di­ca­lisme à la politique partisane

    Le vent semble tourner au Brésil, la main de fer des mili­taires se desserre et le métal­lur­giste fonde le Parti des Travailleurs, le PT, en 1980. Les mili­taires avaient imposé pendant cette période un bipar­tisme forcé avec un parti pro-​militaire, l’ARENA, et un unique parti pro-​démocratie autorisé par le régime, le MDB, ayant peu d’in­fluence sur la politique bré­si­lienne. Le PT est un parti socia­liste constitué d’un amalgame de syn­di­ca­listes, d’in­tel­lec­tuels et d’é­tu­diants. En 1985, des mani­fes­ta­tions massives aux­quelles participe Lula mènent à la fin du régime militaire et la démo­cra­ti­sa­tion du pays. Lula devient député de São Paulo en 1986. Il est le candidat du PT en 1989, 1994 et 1998 : s’il parvient à accéder au second tour en 1989, il faut attendre octobre 2002 pour qu’il soit élu président. Tout comme en 2022, Lula accède au pouvoir en prenant pour colistier un centriste, car au pays des pro­prié­taires terriens il est difficile de remporter le soutien de la majorité sans avoir celui du centrão, ensemble des partis cen­tristes très implantés dans les États fédérés du Brésil. Lula rompt avec les poli­tiques d’aus­té­rité de ses deux pré­dé­ces­seurs même si l’ancien syn­di­ca­liste respecte les recom­man­da­tions du FMI. Lula met en place une politique sociale ambi­tieuse malgré l’om­ni­pré­sence du centrão au Parlement. Le programme Bolsa Familia accorde aux familles les plus pauvres une allo­ca­tion à la condition que les enfants de la famille soient sco­la­ri­sés et vaccinés. Autre programme, Fome Zero a pour but d’é­ra­di­quer la mal­nu­tri­tion dans le pays via des allo­ca­tions ou une aide aux agri­cul­teurs dans le besoin, entre autres mesures. Durant ce premier mandat, quelque 30 millions de Brésiliens sortent de la pauvreté. Réélu en 2006, Lula acquiert une popu­la­rité inima­gi­nable pour un européen : 87 % de taux de popu­la­rité quand il quitte ses fonctions le 1er janvier 2011, laissant sa place à Dilma Roussef.

    Des mani­fes­tants reclament la libé­ra­tion de Lula devant le Tribunal Fédéral Suprême en 2018 © Jefferson Rudy /​Wikimedia Commons

    Un ex-​leader dans la tourmente

    L’année 2014 est un coup dur pour le PT et sa figure fon­da­trice Lula. Lula est accusé de cor­rup­tion à l’oc­ca­sion du scandale Petrobras : Lula aurait attribué des contrats à l’en­tre­prise pétro­lière Petrobras en l’échange de 3 millions de reals. L’enquête est dirigée par le juge fédéral Sergio Moro. L’opération Lava Jato (« lavage express ») met en cause de nombreux res­pon­sables poli­tiques de la gauche et du centre. C’est cet épisode qui mène à la des­ti­tu­tion de Dilma Rousseff le 31 aout 2016 par le Sénat. Sergio Moro condamne Lula à neuf ans de prison malgré l’absence de preuve maté­rielle. Ce dernier se constitue pri­son­nier le 7 avril. Il faut attendre un article de The Intercept de juin 2019 pour que la version des faits de Sergio Moro soit remise en question : le média d’in­ves­ti­ga­tion révèle des échanges sur Telegram entre les pro­cu­reurs de l’o­pé­ra­tion Lava Jato et le juge. On peut y lire que Moro a indiqué aux pro­cu­reurs comment faire tomber Lula, ce qui remet en cause son impar­tia­lité en tant que juge. On peut aussi constater que les pro­cu­reurs eux-​mêmes expri­maient entre eux des doutes sur la culpa­bi­lité de l’ex-​président. Le 8 novembre 2019, Lula sort de prison : la veille, la Cour Suprême avait jugé incons­ti­tu­tion­nelle le rejet de l’Habeas Corpus - le droit de ne pas être empri­sonné sans être jugé – de Lula par cette même Cour Suprême au printemps 2018. Le Tribunal Suprême annule en avril 2021 les condam­na­tions et établit la par­tia­lité du juge Moro – entre-​temps devenu Ministre de la Justice de Jair Bolsonaro pendant un an. L’opération anti­cor­rup­tion est aujourd’­hui décriée et les moti­va­tions poli­tiques des magis­trats ont été révélée, entre autre par The Intercept. La même année Lula annonce vouloir se présenter contre Jair Bolsonaro, lui qui n’avait pu être candidat en 2018. La répu­ta­tion de celui qui est devenu président pour la troisième fois a toutefois pris un sacré coup, les électeurs de Bolsonaro, plus nombreux que les sondages le pré­sup­po­saient, sont toujours inti­me­ment persuadés que Lula est coupable des faits qui lui ont été reprochés par le juge Moro. En consé­quence, le président élu va devoir recon­qué­rir un peuple qui autrefois l’aimait tant. Assurément, la vie de Lula da Silva nous réserve encore de nombreux soubresauts…

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