Le 19 octobre, le musée du Louvre, symbole mondial du rayonnement culturel français, a été cambriolé. Huit joyaux de la Couronne issus de la galerie d’Apollon, ont été dérobés sous les yeux des visiteurs. Derrière ce fait divers spectaculaire, c’est tout un modèle culturel, fondé sur le prestige et l’ouverture au monde, qui se retrouve fragilisé.
Un musée au cœur de la tourmente
Dimanche 19 octobre, 10 h 12. En à peine sept minutes, la galerie d’Apollon du Louvre a été dépouillée de huit joyaux de la Couronne de France, dont la parure de saphirs de la reine Marie-Amélie et la couronne de l’impératrice Eugénie. Sous les yeux médusés des visiteurs, les cambrioleurs ont utilisé un monte-meubles, brisé les vitrines à la disqueuse et pris la fuite en scooters, après avoir menacé les gardiens avec leurs outils. Seule la couronne de l’impératrice Eugénie sera retrouvée, endommagée, non loin du musée. Le cambriolage du musée le plus visité au monde, 8,7 millions d’entrées en 2024, fait alors le tour de la planète. Les journaux du monde entier s’emparent de l’affaire. Le journal britannique The Spectator y voit « une honte pour la France », l’espagnol El Mundo parle d’un « Arsène Lupin moderne », le quotidien italien Corriere della Sera souligne une « vulnérabilité inquiétante », tandis que Le Soir évoque « le casse du siècle ». Pour Fabrice Bousteau, directeur de Beaux Arts magazine interrogé au micro de France Inter au lendemain du cambriolage, ce retentissement international est révélateur. « Je ne suis pas surpris. Cela montre que la marque Louvre est considérable. Le musée fascine autant que Paris ». Car au-delà de l’affaire, c’est un symbole qui vacille : celui d’un musée universel, vitrine du savoir-faire culturel français, censé incarner la solidité du patrimoine national et de son soft power.

Un patrimoine mondialisé, des fragilités bien réelles
Avec l’ouverture du Louvre Abu Dhabi en 2017, le musée parisien ne se limite plus seulement à ses murs. Il exporte, prête des œuvres et incarne une diplomatie culturelle ambitieuse. La France, comme d’autres puissances culturelles a fait de ses musées un outil de rayonnement : un levier économique autant qu’un instrument d’influence. Mais cette mondialisation du patrimoine s’accompagne de nouveaux risques. Sécurité, conservation, transport : autant de maillons faibles d’une chaîne fragilisée par des budgets contraints. Un rapport de la Cour des comptes a pointé des failles de sécurité. Un tiers des salles du secteur Denon où se trouvaient la Joconde et la galerie d’Apollon, ne disposait d’aucune caméra de surveillance. Les trois quarts du secteur Richelieu sont dans la même situation. En cinq ans, seules 138 nouvelles caméras de surveillance ont été installées dans ce musée de 73 000 m². La présidente du Louvre, Laurence des Cars, avait pourtant alerté le ministère de la Culture dès le printemps 2024 sur le manque de moyens humains et matériels. Elle assure que le projet Louvre-Nouvelle Renaissance engagé en janvier prévoit un renforcement de la sécurité. Des dépenses jugées trop importantes pour certains alors que des réductions budgétaires globales sont prévues. Elles sont cependant nécessaires pour assurer la sécurité du patrimoine et des œuvres alors que le vol récent du Louvre illustre ces failles.

Un revers pour le soft power français
Le soft power désigne la capacité d’un État à influencer la scène internationale par son rayonnement culturel. La France, dont la notoriété artistique et patrimoniale est profondément ancrée à l’étranger en a longtemps été l’un des meilleurs exemples. Symbole de ce prestige, le musée du Louvre, le plus visité du monde, incarne à lui seul cette puissance d’attraction. Mais son récent cambriolage met en lumière, pour certains observateurs, la fragilité d’un modèle où la culture doit à la fois séduire, accueillir et se rentabiliser. Confrontés à une fréquentation croissante, les musées doivent désormais trouver un équilibre entre exposition et protection des œuvres. Pourtant, selon la Cour des compte, le Louvre a ces dernières années privilégié les opérations visibles comme de nouvelles acquisitions ou des projets de relance post-pandémie, au détriment de la modernisation et de la sécurisation de ses collections. Ce choix aurait retardé des travaux pourtant jugés urgents, alors que les failles du dispositif de surveillance avaient déjà été relevées dès 2015. En misant sur le rayonnement culturel et l’expérience des visiteurs, le musée aurait ainsi relégué la sûreté au second plan. Dans un contexte de concurrence internationale accrue où chaque pays investit massivement dans la culture pour affirmer son influence, le vol du Louvre agit comme un signal d’alerte : le prestige français, longtemps perçu comme inébranlable, ne l’est peut-être plus autant. Le vol a dépassé le simple cadre du fait divers et a suscité une série de réactions politiques. François Hollande a appelé les Français à l’unité et à la prudence face aux polémiques, tandis que Jordan Bardella a dénoncé une « insupportable humiliation ». Laurent Wauquiez a lui affirmé que « la France a été volée ». Pour Fabrice Bousteau, cette crise pourrait pourtant être bénéfique. « Ce drame va sans doute servir à accroître les moyens accordés aux musées. On ne peut pas réduire le budget de la culture d’un côté et se scandaliser quand un vol survient ».
Une marque à préserver
Entre surfréquentation, restrictions budgétaires et impératif d’image, les musées se retrouvent face à un paradoxe : comment continuer à séduire à l’international sans se mettre en danger ? Car derrière le mot Louvre il y a plus qu’un bâtiment, c’est une véritable marque culturelle mondiale qui se décline même au Moyen-Orient. Malgré le choc du vol, la marque Louvre conserve toute sa force, continuant d’attirer les visiteurs du monde entier. Mais elle rappelle aussi la fragilité d’un modèle où le patrimoine est devenu mobile, globalisé et donc vulnérable. La culture reste un atout puissant. Encore faut-il lui donner les moyens de sa sécurité.