Au cœur du quartier de Lille-Fives, Justine Faihderbe, couturière professionnelle âgée de 36 ans, a établi son atelier de retouche et de confection sur mesure : Les Petites Fivoises. Dans cette entrevue, Justine ouvre les portes de son univers, nous racontant son parcours et son engagement envers une mode plus durable. Mais également les défis de la vie d’entrepreneuse dans un secteur en constante évolution.
Qu’est-ce que vous proposez à l’atelier Les Petites Fivoises ?
« A l’atelier je propose un service de retouche et de réparation comme des ourlets, des changements de fermeture, reprise de largeur etc et également de confection sur-mesure, ça peut être des réalisations de tenues de cérémonie ou de tous les jours”
Comment cette entreprise a‑t-elle commencé ?
“J’ai fait une reconversion professionnelle il y a 6 ans. Avant j’avais un autre métier, j’étais journaliste en presse écrite, à la Voix du nord, j’ai décidé d’arrêter et de me reconvertir. Je faisais déjà un peu de couture avant, mais j’avais envie vraiment d’apprendre une nouvelle compétence et l’artisanat m’attirait beaucoup, et donc j’ai fait 1 année de formation à la fabrication de vêtement sur-mesure. C’est le diplôme que j’ai aujourd’hui.”
Pourriez-vous nous parler de ce qui vous a motivé à effectuer une reconversion professionnelle, et à démarrer cette nouvelle entreprise ?
“Je crois que je n’étais plus en phase avec l’entreprise dans laquelle je me trouvais. A ce moment là j’étais jeune maman, j’allais vers mon deuxième enfant et ça a bouleversé pas mal de choses au niveau de l’organisation. Mais pas seulement, parce que l’organisation on peut toujours la trouver, c’était plutôt la question de trouver de l’intérêt et du sens à ce que l’on fait. Alors journaliste c’est un métier merveilleux, j’en ai une nostalgie incroyable, j’ai adoré ce métier, mais je sentais que l’entreprise ne mettait pas du tout de sens dans ce qu’on faisait où en tout cas je sentais que ça commençait un peu à se déliter. J’étais plus raccord avec ce qu’il pouvait se dire ou ce qui vous pouvait se faire, c’était un vrai choix de ma part de partir.”
Comment s’est fait le choix de la couture ?
“La couture a toujours été une tradition familiale, avec ma grand-mère et plusieurs femmes de ma famille qui étaient couturières. J’ai commencé à m’y intéresser pendant mon adolescence, et plus tard, en tant que jeune adulte, j’ai renoué avec cette passion, ce qui m’a progressivement conduit à envisager une reconversion professionnelle.
Aujourd’hui, avec du recul, je me rends compte qu’il y a aussi une espèce de combat politique amené derrière ce métier, parce que c’est un métier de femme, socialement il commence à être réinvesti mais il y a une vraie image en fait à porter autour de ce métier. C’est un métier dénigré pourtant nous sommes en pleine période de changement, où de plus en plus de gens redécouvrent l’importance du vêtement, tant sur le plan émotionnel que pratique. Les gens ont un vrai intérêt pour le vêtement affectif, qu’on garde dans un placard parce qu’on l’adore, mais où il y a un trou ou alors un pantalon trop long. On n’a plus envie en fait de consommer à outrance, alors on vient le réparer. J’espère en tout cas que la nouvelle génération s’en va vers ça.
Et la couture c’est aussi un vecteur social pour moi, je rencontre plein de gens, il y a la clientèle bien sûr, mais pas seulement, il y a un vrai réseau de créateurs, d’artisans et de professionnels sur Lille. J’ai plein de collègues qui sont couturières indépendantes ou qui ont un autre métier artisanal avec qui on a un réseau, qui est assez fort sur la métropole lilloise avec qui je travaille et du coup on a envie de valoriser ces métiers là et de les défendre aussi. Je trouve que la couture, c’est un bel exemple d’un combat politique pour valoriser le travail des femmes.”
Vous appartenez également au collectif l’Étiquette ?
“Oui, je porte un collectif qui s’appelle l’Etiquette, un collectif de créateurs qui est toujours en activité mais on vient de fermer après 3 années d’existence la boutique qui se trouve juste à côté parce qu’on avait des problèmes de locaux. Il y a un projet de déménagement car le collectif existe toujours et en attendant de retrouver des murs, on va travailler sur de l’animation d’événements ponctuels. C’est un collectif de 35 créateurs artisans, ça fait 3 ans qu’il était installé à Fives. Ça avait cartonné, avec des profils d’artisans dans de la céramique ou dans l’illustration, dans du bijou, du papier, de la maroquinerie, dans le bois… enfin plein de profils artisanaux, plein de talents locaux. Et surtout on fait découvrir à la clientèle une nouvelle façon de consommer.”
C’est un métier souvent dénigré, qui peut être précaire. Comment vous vous en sortez aujourd’hui question rentabilité ?
(Rires) “Ben c’est compliqué … C’est compliqué mais c’est motivant parce que du coup on est sans cesse en questionnement. Moi je suis sous statut micro-entreprise, je n’ai pas pour l’instant la capacité à passer en société. On est deux personnes, Virginie qui est couturière et moi-même. Virginie est avec moi en ce moment parce que j’ai signé une convention avec le « Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée » à Fives, ce qui me permet d’accueillir un salarié. C’est là le problème de nos métiers, l’an dernier je suis arrivée au maximum de ce que je pouvais faire en volume de travail mais pour autant je n’arrive pas à me dégager un vrai et bon salaire. Il y a une rentabilité mais qui n’est pas à la hauteur du temps de travail donné.
Avez senti un impact par rapport a l’inflation, a la période Covid ?
Personnellement, pour mes achats, oui clairement. Mais après pas forcément au niveau de la clientèle, je n’ai pas de client en boutique qui m’a dit « Ah bah non ça je ne le fais pas parce que il y a l’inflation, parce que j’ai pas les moyens, etc. » J’ai une démarche très ouverte avec ma clientèle. Quand un client passe la porte, je commence par l’informer, lui faire un devis, il connaît mes pratiques, mes tarifs. Je sensibilise d’abord les nouveaux clients au temps que prend la couture et donc à la valorisation et à mon tarif et le client a entièrement le droit de repartir en réfléchissant ou de changer d’avis.
Ça arrive que des personnes se plaignent des prix, ce sont les cas où ils viennent avec un vêtement qui vient de la fast fashion, qui coûte pas cher et forcément la retouche coûte parfois 1 à 2 fois plus cher que le vêtement : là ils me disent que ça ne vaut pas le coup.
Vous pensez que l’on a perdu la valeur du vêtement ?
Oui c’est sûr, on a perdu cette valeur-là mais je pense que c’est sérieusement en train de revenir, d’autant plus s’il y a des questions de législation qui se mettent en place pour limiter la fast fashion. Et moi je crois en la nouvelle génération, très sensible à la consommation éthique et responsable.
J’espère qu’on va prendre conscience en fait qu” un t‑shirt à 3€, c’est pas possible, parce que derrière on connaît la réalité. On ne peut plus dire aujourd’hui qu’on ne sait pas.
Comment envisagez-vous l’évolution de votre entreprise dans les 5 ou 10 prochaines années ?
(Rires) Alors là ! Je ne sais déjà pas dans comment va se passer demain ! Honnêtement je ne sais pas si j’ai envie d’y penser, pour l’instant la surprise me va bien aussi. Aujourd’hui j’avance et on verra pour l’avenir.
Aujourd’hui je suis plus épanouie même si c’est plus compliqué. J’ai une famille, trois petites filles à la maison, ce n’est pas facile financièrement, ce n’est pas la situation la plus confortable, c’est un challenge, c’est la passion qui me fait avancer et si d’autres challenges arrivent, ça ne me fait pas peur !