Lundi 30 octobre, parmi la foule de touristes présents pour assister à la relève de la garde du mémorial de Tchang Kaï-chek, à Taipei, s’élevaient une douzaine de manifestants téméraires. Ils demandent la démolition de mémorial arguant du fait que son existence va à l’encontre des valeurs démocratiques du pays.
Sur leur banderole, le message est clair « Taiwan n’a pas besoin d’un mémorial pour un dictateur ». La date n’est pas non plus choisie au hasard : nous sommes la veille de l’anniversaire de l’ancien chef du Kuomintang (parti nationaliste chinois, qui lors de la guerre civile contre les communistes de Mao Zedong est allé se réfugier sur l’île de Taiwan), Tchang Kaï-chek. Les manifestants sont stoïques face aux caméras des médias locaux, et restent muets. Seule une personne avec un mégaphone expose leurs revendications : le démantèlement du mémorial Tchang Kaï-chek pour permettre de mettre en place une justice transitionnelle – la justice transitionnelle concerne la manière dont les sociétés font face aux conséquences de violations graves et massives des droits de l’homme.
Tchang Kaï-chek commandeur de la Terreur Blanche
La manifestation aspire à être intergénérationnelle, réunissant les victimes et les familles des victimes de la Terreur Blanche. Le 27 février 1947, également connu sous le nom de massacre 228, la population de Formose se soulève contre le gouvernement corrompu dirigé par le Kuomintang de Tchang Kaï-chek. La répression qui s’ensuit est d’une brutalité extrême, avec des estimations du nombre de morts variant de 10 à 30 000 individus. Ce massacre a marqué le début de la Terreur Blanche, une période de 38 ans de loi martiale au cours de laquelle des dizaines de milliers de Taïwanais ont été portés disparus, sont décédés ou ont été emprisonnés. Cet événement est l’un des plus significatifs de l’histoire moderne de Taïwan et a largement contribué au mouvement d’indépendance de l’île. Bien que Taïwan se soit démocratisé à partir de 1987, les protestataires s’interrogent sur la raison pour laquelle le pays continue d’honorer la figure d’un dictateur violent.
Accéder à la justice transitionnelle
Entre 2018 et 2022, l’administration de Tsai Ing-wen, l’actuelle présidente de Taïwan, a soutenu une commission de justice transitionnelle visant à remédier aux injustices historiques commises entre 1945 et 1992. Cependant, de nombreux militants, arborant les photos des victimes de la Terreur Blanche lors de la manifestation du 30 octobre, estiment que le gouvernement n’a pas poussé assez loin les réformes nécessaires. Avant sa dissolution, la commission avait préconisé le retrait de la statue de Tchang Kaï-chek, une demande qui n’a toujours pas été concrétisée et qui semble compromise par les élections présidentielles de 2024. Tsai Ing-wen évite de s’engager dans un conflit symbolique qui pourrait faire hérisser les poils sur la tête du Kuomintang et de ses partisans.
Remplacer les restes dictatoriaux par l’art et la culture
Mais faut-il réellement détruire le mémorial en entier ? Les manifestants ont plutôt tendance à vouloir que le mémorial abritant la statue de l’ancien dictateur soit transformé en centre culturel pour l’art et le divertissement, des pratiques culturelles dont ont été privées les victimes de la Terreur Blanche. D’autant plus que sur la place de la Lliberté où s’élève le mémorial, siègent déjà le Théâtre National et la Salle de Concert Nationale. Mais pour cela, il faudrait tout d’abord retirer l’immense statue de Tchang Kaï-chek sous le grand dôme blanc immaculé.
Un point sur la situation politique à Taïwan
Taïwan est une île située au large de la Chine continentale. Bien qu’elle soit gouvernée par un système démocratique, Taïwan n’a pas de reconnaissance formelle en tant que pays indépendant de jure. En 1992, la Chine communiste et le Parti nationaliste taïwanais, le Kuomintang, ont conclu un accord de consensus déclarant que la République populaire de Chine et Taïwan font partie d’une même Chine, tout en étant administrées par des systèmes politiques distincts. La démocratisation de Taïwan en 1987 a ouvert la voie à la multiplicité des partis politiques, bien que deux partis dominent le paysage politique : le Kuomintang, un parti nationaliste dont était issu le dictateur Tchang Kaï Chek, et le Parti démocratique progressiste, formé après l’avènement de la démocratie dans le pays. La présidente actuelle de Taïwan, Tsai Ing-wen, est affiliée au Parti démocratique progressiste. Les prochaines élections présidentielles sont prévues pour 2024.