C’est fort du soutien de Patricia Bullrich que Javier Milei emporte le second tour des élections argentines. Un soutien de taille qui jouera le nerf de la guerre dans un Parlement argentin où Javier Milei ne possède qu’une trentaine de têtes pour le moment. Mais à plus tard les questions politiciennes : dimanche 19 novembre, il gagne l’élection avec une bonne marge, à 55,6% des suffrages.
Dans son discours de victoire devant un hôtel de Buenos Aires, Javier Milei remercie ses supporters. À côté de lui on retrouve sa sœur, Karina Milei, qu’il appelle au masculin « le chef », et qui est l’organisatrice de toute sa campagne. Puis vient un autre homme, le président argentin. On connaissait le Javier Milei déchaîné, extatique, des extraits diffusés en boucle sur les médias. Ici on le voit serein, calme, posé. Il cherche à rassurer ceux qui n’ont pas voté pour lui, ou qui n’ont pas voté tout court. Pas question de tronçonneuse ou de découpe à l’embardée. « Aujourd’hui commence la reconstruction du pays. »
Une dimension messianique
« Combien de fois je l’ai dit, et je ne saurais éviter de le répéter, la victoire ne vient pas de la quantité de soldats, mais des forces qui viennent du ciel. Pour autant, je tiens à remercier tout le monde, et je ne pourrais terminer d’une autre manière. Vive la liberté, bordel ! Que Dieu vienne en aide aux argentins. »
traduction de la fin du discours de victoire de Javier Milei, le 19 novembre
El País rappelle quela collusion entre la foi et le politique est monnaie courante en Amérique latine, où les questions religieuses concernent une part beaucoup plus importante de la population qu’en Europe. On se doit d’analyser le phénomène sans nos lunettes occidentales. Et à propos de religion, Javier Milei avait été extrêmement virulent vis-à-vis du pape François (d’origine argentine) durant sa campagne, le qualifiant de « communiste » comme de « fils de **** » et d’autres noms d’oiseaux. Pourtant, les journaux la Croix, Aleteia ou Vatican News nous expliquent un retournement de situation inattendu.
À peine Milei aurait-il élu qu’il aurait reçu un appel du pape François. La conversation durerait huit minutes. Le pape commence par féliciter le candidat pour sa victoire. Javier Milei remercie alors le souverain pontife et espère recevoir sa visite très prochainement. Malgré l’interconnexion entre le religieux et le politique que l’on évoquait, cet échange informel est loin des conventions imposées par la diplomatie. On s’étonnera de cette bascule, et des agendas des deux hommes. Peut-être que le pape aurait déjà pardonné les vilains mots du pêcheur. Quelques extraits de la conversation dévoilée par la presse :
Javier Milei : « J’ai conscience que je dois faire face à un défi important pour combattre la pauvreté et l’indigence. »
Le pape François : « Je vous félicite pour votre victoire et je vous invite maintenant à agir avec courage et sagesse. »
Javier Milei : « Le courage ne me manque pas. La sagesse j’y travaille. »
Un soutien clair aux avant-gardes de l’occident
Javier Milei se dit de confession juive. Il lirait quotidiennement la Torah, visiterait la tombe d’un rabbin célèbre fréquemment, et surtout, d’un point de vue politique, il affirme son soutien sincère à Israël. Il le revendiquait déjà avant les attaques du Hamas, maintenant l’appui est inconditionnel.
Autre conflit majeur, en Ukraine, Volodymyr Zelensky s’est empressé d’applaudir la victoire du nouveau président argentin. En effet, Javier Milei veut aligner sa diplomatie sur les États-Unis, et soutient pleinement le camp ukrainien face à l’invasion russe. Le président américain Biden a salué cette perspective.
Mais le retour le plus chaleureux vient de la vidéo de félicitations de Donald Trump. D’aucun ne s’en serait douté, la complicité avec Javier Milei semblent déjà exister : agressivité, phrases chocs, style capillaire et libéralisme aggravé, les deux se sont bien trouvés. Dans le journal le Figaro, on apprend que les deux hommes se sont entretenus le 22 novembre, et qu’une visite de l’ex-président américain à Buenos Aires serait déjà planifiée.
En Amérique latine, les retours sont mitigés, il y a une relative peur de contagion de la frange conservatrice sur le continent. Le Monde titre « La victoire de Javier Milei en Argentine s’inscrit dans un contexte mondial de consolidation des droites radicales ». Malgré tout, les présidents Lula da Silva au Brésil et Gustavo Petro en Colombie ont reconnu sa victoire. Une victoire applaudie haut et fort par les candidats conservateurs reconduits, comme un certain Jair Bolsonaro au Brésil.
Une victoire à remettre dans son contexte
Au-delà du soutien inattendu de Patricia Bullrich, comment expliquer la réussite d’un tel personnage dans le paysage politique argentin ?
Première cause évidente : l’inflation, atteignant les 140% alors que les élections se terminent. Dans la même logique, le taux de pauvreté dépasse les 40% dans le pays. L’électorat Milei, bien que divers, bénéficie principalement de deux tranches de populations. La grande séduction chez les jeunes s’est opérée par la participation active de Youtubeurs argentins célèbres dans l’ensemble de la campagne (le Parisien a mis cela en évidence dans ses articles écrits et vidéos). De même, Philippe Manière, spécialiste en communication stratégique, a mis en avant la proportion majeure de votants de la classe moyenne, « rincée par l’inflation » (sur France Inter).
Les Échos titrent « L’Argentine plonge dans l’inconnu ». Un titre supposé réveiller l’anxiété, il faut savoir pourtant que c’est une des raisons cruciales du vote Milei. « Mieux vaut la fin dans l’horreur qu’une horreur sans fin », rétorquent ses partisans, agacés par l’alternance centre-droit et centre-gauche qui persistait depuis 50 ans à la suite de la période péroniste.
Mesures phares de la Liberté avance : avancera, avancera pas ?
Le point majeur de la campagne, c’est la fermeture de la banque centrale, la fin du peso et l’alignement sur le dollar. Des changements drastiques et difficiles à mettre en place au vu de la position de Javier Milei au Parlement. Cependant, information du Figaro, la directrice du FMI, Georgieva Kristalina, s’est enthousiasmée d’entrer en « étroite collaboration » avec le nouveau président argentin. La même présidente qui prononçait ces mots : « nous avons trop longtemps insisté sur les bénéfices de la mondialisation ».
Dans une logique de réduction des dépenses publiques, Javier Milei a annoncé la fermeture de douze ministères, jugés inutiles. Vous connaissez certainement la séquence devenue virale sur les réseaux Twitter, X, Youtube ou d’autres médias. Il y arrache de vulgaires post-it supposés chacun représenter les ministères qui ne survivront pas à son administration. France 24 était particulièrement terrifié de la disparition du ministère du droit des femmes, rappelant que le nouveau président argentin est anti-avortement. Seuls survivants au bataillon : ministères de l’économie, la justice, la sécurité, l’intérieur, la défense, les relations extérieures, l’infrastructure et celui du « capital humain ».
Javier Milei a aussi proclamé la grande braderie des biens nationaux. Tout d’abord, il s’agit du géant pétrolier YPF (Repsol). Une société d’origine espagnole qui avait fusionnée avec l’argentin YPF en 1999. Recherche, transport, raffinage et production de pétrole, l’entreprise avait été nationalisée en 2012 en Argentine. Le nouveau président argentin veut revenir à l’ancien modèle. Son investiture attire les actionnaires : la côte boursière de Buenos Aires a monté déjà de plus de 20%, portée majoritairement par les actions d’YPF sur le marché (+34%).
Autre cible de coupe de subventions : les médias nationaux argentins. « Radio Nacional » et Canal 7 (communément appelé « Televisión Pública Argentina ») sont privatisés. Javier Milei leur reproche leur travail partisan malgré leur casquette de service public. Il avait fustigé à plusieurs reprises la diabolisation que l’on y faisait de lui ou de ses partisans. L’agence de presse publique Télam subira le même sort. « Tout ce qui pourra être géré par le secteur privé le sera » se satisfait Milei.
Il faut bien se rappeler que tout ou partie de ces promesses de campagne ne seront peut-être pas tenues. Notamment au vu de la faiblesse du nouveau président argentin au Parlement.
Inéluctablement, en France ces coupures choquent. Notre pays étant abreuvé de finances publiques et de médias subventionnés, l’idée de leur disparition soudaine terrifie. « Il faut bien comprendre que le vote Milei c’est un vote sur 70 ans de déclin dû à une crise de la dette souveraine ayant pour conséquence la montée de l’inflation. » explique Philippe Manière sur France Inter.
Dans ses discours, Javier Milei joue énormément sur la corde sensible de l’histoire de l’Argentine, sur le retour à « un âge d’or ». Référence à l’époque ou le pays était considérée comme la deuxième économie mondiale avant qu’il n’abandonne le modèle libéral. La France, qui amorce un déclin certain (au moins d’un point de vue économique) depuis plusieurs décennies, devrait peut-être balayer devant sa porte avant de s’inquiéter du sort de l’Argentine.