En mai dernier, les Roumains se sont rendus une nouvelle fois aux urnes après que le premier vote de novembre 2024 ait été annulé. Inconnu quelques semaines avant les élections, le candidat d’extrême-droite Calin Georgescu était alors arrivé en tête, à la grande surprise d’une partie de la population roumaine. Des mois ont passé mais la contestation ne faiblit pas : ses supporters continuent de manifester régulièrement devant le parlement de Bucarest.
En décembre 2024, la Cour constitutionelle roumaine annulait le second tour de l’élection présidentielle, fait inédit et rare dans l’Union européenne. La raison : le pays aurait subi des ingérences russes. Soutenu par des milliers de micro-influenceurs sur l’application chinoise Tiktok, c’est par ce biais que le candidat pro-russe et anti Union européenne, Călin Georgescu se serait imposé dans l’opinion des ménages roumains. À l’annonce des résultats, le pays s’est fracturé en deux. D’un côté les partisans de Georgescu qui représentent environ 22.94% des voix, de l’autre côté le deuxième parti en tête,Union sauvez la Roumanie (dirigé par Elena Lasconi), atteignant lui 19.18%, puis tous ceux qui ne votent ni l’un ni l’autre. Si un tel candidat a pu arriver en tête du scrutin, c’est grâce à la lassitude des habitants. Le peuple roumain dénonce la corruption et l’inefficacité des partis dits traditionnels. Les scandales de corruption trop fréquents ont fragilisé la confiance dans les institutions. Selon un sondage réalisé par AtlasInte l (société roumaine de sondages) en partenariat avec Politic la Minut, 88,5 % voient la corruption comme la principale préoccupation au mal-être du pays. Pour beaucoup, voter était devenu le moyen de sanctionner les élites. Cette défiance et cette distance ont été le terrain fertile pour les candidats anti-système et populistes qui s’en sont servis pour monter les échelons.
Un ral-le-bol général
Les politiciens Roumains sont déconnectés de la réalité. C’est ce qu’avoue Elena Egan, Roumaine résidant en France depuis 20 ans maintenant : « Certains magistrats Roumains veulent partir en retraite de plus en plus tôt, soit 48 ans. Le pire, c’est qu’ils demandent à être payés en euro et pas en lei pour toucher le plus d’argent possible. Ils sont complètement inconscients de la situation de leurs citoyens. »
« Les Roumains pauvres ne sont pas contents des décisions prises par le Président Nicuşor Dan, qui veut s’aligner avec l’Union européenne »
Elena, résidente en France.
Avec des revenus plus que modestes qui ne suffisent pas pour certains ménages et le prix de l’énergie qui ne cesse d’augmenter, la tension monte et crée une insatisfaction sociale non négligeable. Les plus démunis se tournent alors vers des partis populistes, qui se disent plus à l’écoute et prêts à relever le défi d’améliorer leur niveau de vie le plus rapidement possible. Même si elle ne partage pas leurs avis, Elena comprend la colère de ses concitoyens : « Les Roumains pauvres ne sont pas contents des décisions prises par le Président Nicuşor Dan, qui veut s’aligner avec l’Union européenne. »

Les milieux ruraux plus touchés par la précarité
Si aujourd’hui Nicuşor Dan a obtenu la majorité absolue lors des élections en mai dernier, ce n’est évidemment pas le candidat rêvé des habitants ruraux du pays : « Je suis retournée en Roumanie où j’ai pu directement voter pour lui. J’appréciais le fait que ses débuts n’aient rien à voir avec la politique, car il est d’abord un mathématicien ayant fait ses études à la Sorbonne. Mais j’ai pu voir que dans mon village, beaucoup plus de gens avaient voté pour l’extrême-droite de Călin Georgescu. » explique Elena. Selon la traductrice, les gens de la campagne auraient voté plus largement pour lui (avec un score de 23 % dans les zones rurales), car plus facilement influençable : « La plupart du temps, ce sont des paysans qui travaillent énormément et sont souvent peu informés. » Elle souligne aussi le manque d’accès à l’éducation, qui limite la pensée critique.
De multiples procès pour Călin Georgescu
Si le nom du candidat a été révélé de façon soudaine et inexpliquée, il a fallu peu de temps pour que la population Roumaine apprenne que plusieurs procès le menaçaient. Peu de temps après les premières élections de novembre, des révélations défavorables ont été portées à son encontre : « Déjà avant les élections je n’avais jamais entendu parler de lui. Il a énormément d’accusations comme le fait d’avoir menti sur les fonds de sa campagne électorale. Il a accepté l’aide illégale de la Russie lors de sa campagne et promeut des idées racistes, fascistes, etc. » raconte Elena. En septembre, le candidat d’extrême droite a été mis en cause pour avoir tenté un coup d’Etat avec 21 autres personnes. Alex Florența, procureur général de Roumanie déclarait avoir trouvé des preuves sur un potentiel complot afin de prendre le pouvoir, mais aussi une guerre hybride organisée en grande partie par la Russie. Pourtant, à cause d’une grève des magistrats, le procès a été reporté. Călin Georgescu risque jusqu’à 20 ans de prison. Malgré ces accusations, ses partisans restent mobilisés et continuent de défier les institutions.
Un président jugé peu efficace
Avec environ 54 % des voix obtenues, si Nicuşor Dan, président Roumain, n’a rien à craindre pour sa crédibilité, le problème reste entier : il est jugé inefficace et peu charismatique : « Il a été maire de Bucarest avant. Même à ce poste, je ne trouvais pas qu’il faisait grand-chose. » Pour autant, les électeurs de Călin Georgescu continuent de manifester à la capitale devant le Parlement ou place Victoriei, mais aussi dans toute la Roumanie. Le mouvement s’étend à Timişoara mais aussi à Cluj Napoca, dans le nord du pays. Ses partisans continuent de dénoncer l’annulation de la présidentielle, mais aussi les poursuites judiciaires à son encontre. La Roumanie est donc fracturée, entre un président élu mais contesté et une partie de la société civile qui refuse de se taire. Le pays essaie de trouver un équilibre et une volonté de s’intégrer davantage dans la société européenne.