Vendredi 25 février, l’APU de Fives (Atelier populaire d’urbanisme de Lille), a organisé une double projection sur le thème des conditions de vie indignes dans lesquelles les “gens du voyage” sont accueillis dans les aires d’accueil. Coincées entre trois sites pollués, les femmes de l’aire d’accueil de Hellemmes-Ronchin se sont organisées en collectif. Sue-Ellen et Carmen Demestre sont venues raconter leur combat.
“Je vais le dire franchement, dans cette aire, c’est comme si nous étions encore dans les camps nazis”. Tout juste après la projection du film “Nos poumons c’est du béton” réalisé par le Collectif des Femmes Da So Vas et du reportage “Mon voisin Lubrizol », en présence de sa réalisatrice Léa Gasquet pour le média en ligne StreetPress, Carmen Demestre donne le ton de l’injustice. Car telle est la situation : une aire d’accueil pour “gens du voyage” – terme administratif imposé aux Voyageurs ne disposant pas de domicile fixe – coincée entre la centrale à béton de la Compagnie des Ciments Belge, la plateforme de recyclage des Briqueteries du Nord et un champ “plein de pesticides”.
Inaction des pouvoirs publics
La situation est inextricable : selon la loi Besson de 1990, les “gens du voyage” sont tenus de demeurer dans des aires spécialement désignées sous peine d’amendes. Supposé pendant de cette contrainte : les communes de plus de 5 000 habitants sont dans l’obligation de proposer une aire d’accueil, or, les multiples dérogations possibles font que celles-ci sont en nombre insuffisant sur le territoire français. Ces communes représentent 6% des communes françaises, or, seulement 3,6 de ces dernières ont une aire d’accueil. Impossible donc pour les Voyageurs de quitter une aire indigne pour une autre qui serait plus accueillante. Comme les habitants de l’aire de Saint-André-Lez-Lille qui se situe juste en dessous de la voie de TGV et juste à côté de l’autoroute, la communauté de Hellemmes-Ronchin est confrontée à un environnement nuisible. “À cause de la cimenterie, les petits ont de l’asthme, voire des infections pulmonaires”, comme la petite Shayline lorsqu’elle avait cinq mois en 2016. Les maladies de la peau comme l’eczéma, l’impétigo, ou la gale du ciment, qui n’a de gale que de nom puisqu’elle n’est pas d’origine infectieuse mais environnementale. Lorsque la Dreal, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, réalise des analyses sur l’air, c’est à l’aide de simples plaques de tôles censées retenir les poussières alors qu’elles sont lavées par la pluie.
Un racisme environnemental répandu sur tout le territoire
Léa Gasquet était elle là pour présenter son reportage sur l’aire d’accueil de Petit-Quevilly à 300 mètres de l’usine de Lubrizol. Alors que la catastrophe avait ébahi toute la France, aucune solution de relogement n’a été proposée aux Voyageurs depuis 2019. Comment expliquer un tel mépris ? En compagnie du juriste William Acker, lui aussi issu de la communauté des Voyageurs, tous s’accordent sur l’emploi de la notion de racisme environnemental. Développé dans le sillage de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, ce terme désigne la discrimination raciale dans les politique d’urbanisme : des communautés discriminés sont mises au ban dans des lieux pollués et impropres à l’habitation. Auteur de l’ouvrage “Où sont les gens du voyage ? “, William Acker déclare “si vous cherchez les aires d’accueil, il faut chercher la déchetterie”. Au cours d’une étude où a il répertorié 1 358 aires d’accueil, il est arrivé au constat que celles-ci sont presque toujours situées à la périphérie des villes, loin des regards, tout comme les sites les plus nuisibles dont les Voyageurs se retrouvent voisins. Selon William Acker, 70% des aires sont géographiquement isolées des centres villes et 50% sont à proximité d’un site pollué. Une mise au ban qui tait son nom.
« Nos poumons c’est du béton » : https://www.youtube.com/watch?v=uVvTxtEwfco
« Mon voisin Lubrizol » : https://www.streetpress.com/sujet/1625490543-documentaire-gens-voyage-aire-accueil-usine-lubrizol-discrimination-environnement-pollution